Avant-première : « Indes Galantes », m.e.s. Clément Cogitore, chorégraphie Bintou Dembélé.

Samedi 19 juin à 19h à Tropiques-Atrium

La danse s’invite sur l’écran Cinéma de Tropiques Atrium, à l’occasion de l’avant-première du film « Indes Galantes » !

France –2021- 1h48 – Documentaire, danse, opéra

Réalisation : Philippe Béziat

Synopsis :
C’est une première pour 30 danseurs de hip-hop, krump, break, voguing… Une première pour le metteur en scène Clément Cogitore et pour la chorégraphe Bintou Dembélé. Et une première pour l’Opéra de Paris. En faisant dialoguer danse urbaine et chant lyrique, ils réinventent ensemble le chef-d’œuvre baroque de Jean-Philippe Rameau, Les Indes Galantes. Des répétitions aux représentations publiques, c’est une aventure humaine et une rencontre aux enjeux politiques que nous suivons : une nouvelle génération d’artistes peut-elle aujourd’hui prendre la Bastille ?

La presse en parle :

The Financial Times – Shirley Apthorp : Ravishing: ‘Les Indes galantes’

El Mundo – Ignacio Gil Vasquez : Un espectáculo de cuatro horas, brillante, moderno. Divertido y que hace pensar. Bello. Espectacular.

Connaissance des arts – Guy Boyer : une nouvelle vision plastique contemporaine. Chef-d’œuvre ! 

ENTRETIEN AVEC PHILIPPE BÉZIAT, RÉALISATEUR D’INDES GALANTES
Cette aventure commence il y a trois ans, au moment où Clément Cogitore accepte la proposition de monter Les Indes Galantes à l’Opéra de Paris. Presque tout de suite naît le projet d’un film documentaire qui suivra cette mise en scène. Qu’est-ce qui à l’époque vous enthousiasme dans cette aventure ?

D’abord l’idée de faire un film musical qui ne parle pas que de musique. Je fais depuis toujours des films musicaux, des films sur la musique, c’est-à-dire que la musique est pour moi la matière d’un travail cinématographique. Il y a des réalisateurs qui adaptent des romans, moi j’adapte des œuvres musicales. Et même si ça peut paraître étrange, je ne les adapte pas sous forme de fictions : ce qui m’intéresse, c’est de montrer des artistes au travail et de faire des liens entre les œuvres et la vie. Quand j’échange pour la première fois avec Clément Cogitore, je suis frappé par la netteté de ses axiomes et de son dispositif, qui relèvent pour moi d’une proposition d’artiste contemporain, plus encore que de metteur en scène au sens classique – cela dans un endroit plutôt conservateur, l’Opéra de Paris.
Évidemment, tout de suite ça me passionne. Et presque tout de suite aussi, je sens que le groupe de danseurs qu’il va inviter sur le plateau sera au cœur de l’expérience. Que la matière du film documentaire se trouvera là : dans le regard que ces danseurs vont porter sur l’institution. Dans la façon dont ils vont l’aborder, la vivre, la traverser.

Ce choix de tout raconter à travers le regard des danseurs s’impose d’emblée ?
Presque. Le regard des danseurs est le fil conducteur, l’axe du film. Au tout début, avec Philippe Martin, mon producteur, nous étions assez fascinés par la puissance de Clément Cogitore, à la fois plasticien, cinéaste, photographe, sa manière de réussir tout ce qu’il entreprenait, de façon très humaine et très fine. Il y aurait pu y avoir un film sur le côté démiurgique de l’acte de création. Mais pour moi, le grand geste de Clément, c’est d’amener sur ce plateau des gens qui n’y ont jamais été invités, et de leur faire jouer quelque
chose qui se rapproche de leur propre rôle. C’est-à-dire de les placer non pas dans un rôle d’interprètes censés entrer dans un costume qui les cachera, mais au contraire de les faire jouer à vue, de mettre en situation une authenticité qui rendra visible leur énergie, leur identité, leur personne, leur éventuelle résistance à l’institution. Le contraire en somme d’un metteur en scène qui n’aurait qu’une vision et qui demanderait à tout le monde de s’y plier.

Dans la partition entre ces deux mondes que Clément Cogitore veut faire communiquer, vous appartenez malgré tout plutôt à celui de l’opéra – celui qui se trouve bousculé par le dispositif. Et donc inévitablement vous vous retrouvez, vous aussi, bousculé dans vos habitudes de cinéaste.
Oui, et tout l’enjeu était de répondre à ça. Pour moi, c’est le corps du film : revivre ce choc, que les spectateurs ont vécu pendant les trois heures de représentation, que les journalistes aussi ont vécu plus ou moins bien. Et ce choc que j’ai vécu moi aussi. Cette vague à la fois nouvelle, crainte par un monde plutôt conservateur, et en même temps extraordinairement attendue. Presque inespérée.
Je me le suis souvent répété pendant le montage du film : personne ne se rend vraiment compte que c’est une chose qui n’était jamais arrivée à l’Opéra de Paris en 350 ans. Ça peut paraître un peu gadget ou cliché, mais non, l’Opéra national de Paris n’avait encore jamais ouvert ses portes de cette manière.

Vous décidez d’intégrer à la matière de votre film, dès les premières secondes, des vidéos filmées par les danseurs eux-mêmes,à destination d’amis ou de réseaux sociaux.
Il y avait deux mondes a priori totalement étanches. Et si je voulais capter leur rencontre, il fallait nourrir le film d’autre chose que de mon matériau habituel, d’où le rôle d’éléments comme ces ‘‘stories’’ en ouverture. Je voyais bien que mon écriture cinématographique ne correspondait pas à celle de mes personnages et je devais m’adapter à ce réseau, toujours actif, toujours vivant, souvent très inspiré, très inventif – il y a beaucoup de talent, de verve. Ce réseau fait partie de la vie et il y a une grande habitude de la mise en scène de soi. Cela pose une vraie question pour le documentariste que je suis : à partir du moment où tout le monde est cinéaste, qui l’est réellement ?

Il y a aussi un usage très particulier de la voix des personnages. On les écoute, on est plongé dans leur parole, mais sans toujours les voir à l’image.
Pour avoir fait beaucoup de radio, je sais que la voix sans image dit beaucoup plus de choses de l’intimité. Elle est sans filtre. Il y a une proximité qui ne s’atteint qu’au son.
Il y a moins de dimension de séduction, moins de frein, tout simplement – c’est autre chose que de parler à une caméra. On a enregistré de longues heures d’interviews avec chacun d’eux. Et j’étais heureux qu’ils acceptent que cette parole soit détachée des apparences, détachée de l’auto-mise en scène, et donc du contrôle de l’image de soi. C’est comme ça je pense qu’on peut atteindre une
vraie parole, formulée par des artistes qu’on découvre extraordinairement brillants, avec des parcours étonnants et une expérience souvent impressionnante.

UN FILM MUSICAL QUI NE PARLE PAS QUE DE MUSIQUE

Le documentaire a parfois tendance à se limiter à quelques personnages pour qu’on puisse mieux s’identifier à eux, mais ici, vous touchez à une expérience collective inédite…
Tous les personnages du film, danseurs ou non danseurs, viennent d’horizons extrêmement différents. Entre la soprano Sabine Devieilhe et un vogueur, entre un krumpeur et un machiniste, il est évident que ce sont des univers très distincts. L’opéra pour moi, fabriquer un opéra, monter un opéra, ça reste toujours une métaphore de la collaboration, d’un projet collectif autour duquel on se réunit un temps donné pour réussir à créer un objet qui nous dépasse tous. Et cette fois, en plus, s’agrégeait à la diversité habituelle du collectif de l’opéra un groupe très important, très large, lui-même d’origines très variées, qui a fait complètement groupe et corps avec les machinos, avec les chanteurs, avec le chef d’orchestre. Ce collectif a vraiment pris corps. Et je voulais absolument insister sur cette dimension collective.

Chanteurs, solistes et danseurs se fondent dans un seul groupe, malgré un comportement très différent.
Il arrive que les chanteurs ne soient pas très à l’aise dans leurs déplacements ni dans l’image qu’ils donnent d’eux-mêmes et de leur corps, ils peuvent sembler décentrés ou peu ancrés sur le plateau. C’est étonnant, parce que leur corps est leur instrument. C’est de leur corps que dépend leur voix et le rapport qu’ils entretiennent avec leur voix peut être finalement assez cérébral. Les danseurs en général, et les danseurs de ces danses urbaines en particulier, à peine arrivés sur le plateau, dégagent le contraire : des corps centrés, des corps qui ont commencé par se détendre, se dénouer, faire une demi-heure de yoga, respirer, qui sont dans la perception des autres autour d’eux. Ce qui est fascinant dans ces arts, c’est le rapport à l’improvisation. En fait c’est l’inverse de l’opéra. Bintou Dembélé, la chorégraphe du spectacle, nous expliquait qu’en hip-hop, quand on fait deux fois la même chose, ce n’est pas bien. Donc on ne peut être que dans l’invention, l’inspiration, le renouvellement. C’est-à-dire être sur la brèche tout le temps. L’esprit est en permanence éveillé, profondément attentif à tout ce qu’il peut saisir autour de lui. En fait, c’est une leçon de chaque instant pour les interprètes « classiques ».

Vous n’avez jamais autant filmé les corps. Est-ce que pour cela vous avez eu recours à des procédés inédits dans votre langage cinématographique ?
Oui, Indes Galantes est beaucoup plus découpé que mes précédents films. Ce sont des questions d’écriture et de montage. J’étais fasciné par ce rythme des ‘‘stories’’ de mes personnages : ce crépitement, ce flux d’expressions souvent très inspirées. Je voulais que le film ressemble un peu à ça, soit nourri de ça. Ce rythme plus rapide vient aussi de Rameau. Quand on fait un film sur Debussy, on a
une fluidité musicale quasiment ininterrompue. Idem ou presque chez Verdi. Dans le baroque, en revanche, et en particulier chez Rameau, les danses sont incroyablement fragmentées. Elles ont cette pulsation, ce fouetté. Et elles sont très modulaires.

Il y a aussi une dimension spectaculaire du film, plus que dans vos films précédents peut-être. C’est un film devant lequel on vibre.
C’est une dimension qu’assume déjà Clément Cogitore dans sa mise en scène. Tout en questionnant à chaque instant la société du spectacle, il choisit d’assumer le fait que l’opéra est profondément un art de la sidération, de la machinerie, de l’émerveillement – notion fondamentale dans ce répertoire baroque. Pour moi un film se construit comme une symphonie, avec des temps forts, des adagios, des creux, des pauses, et des tempêtes. En espérant qu’en plus de vibrer devant une œuvre spectaculaire, le spectateur soit ému. Être à la fois dans la sensation et dans l’intelligence, à égalité, c’est la grande magie des œuvres de cette époque.

Pourquoi fallait-il ces moments où le film sort du cocon de l’Opéra ?
L’opéra c’est un monde clos, une grotte merveilleuse, surtout l’Opéra de Paris qui est peut-être l’une des plus grandes et des plus fascinantes du monde. Mais justement, une des clés du film, c’était de poser cette question : comment le monde extérieur peut-il pénétrer et nourrir cette caverne merveilleuse ? Comment peut-il y trouver sa place ? Je savais qu’il fallait sortir de temps en temps, pour pouvoir mieux y retourner. Et je sentais qu’il fallait arriver de l’extérieur, qu’on ne pouvait pas commencer tout à fait à l’intérieur. C’est quelque chose que j’avais expérimenté avec la mise en scène de Pelléas et Mélisande à Moscou : à quel point une image de la ville, une image d’un immeuble, de l’immeuble dans lequel vit un chanteur, peut prendre une résonance considérable par rapport à ce qu’on vient d’entendre au niveau de l’œuvre. C’est cette alchimie cinématographique qui m’intéresse : on est dans Rameau, on a un son, une mélodie, des personnages, un chant, une harmonie musicale, et en fait tout ça peut se prolonger sur une image du monde réel, et produire une émotion. Et plus ce sont des éléments du monde réel, plus j’y trouve mon compte. C’est pour ça que je ne fais pas de fiction. Ici le moindre son est fabriqué par les gens qu’on a vus, qu’on a suivis en train de le fabriquer. Rien ne préexiste. Tout est
authentique. Tout est brut.