Aux Antilles, les soignants acculés à faire le tri

Dans un contexte d’extrême tension, de nombreux malades du Covid-19 attendent une place en réanimation

— Par Jean-Michel Hauteville(Fort-de-France (Martinique), correspondance) et Quentin Peschard —

Malgré l’heure matinale, Cyrille Chabartier a les traits tirés dans son bureau du service réanimation polyvalente à l’hôpital de Pierre-Zobda-Quitman, à Fort-de-France. Ce jeudi 19 août, ce médecin anesthésiste-réanimateur vient de terminer une garde dans ce service qu’il dirige au sein du site principal du centre hospitalier universitaire (CHU) de Martinique. Vingt-quatre heures à tenter de sauver 55 patients, tous atteints de formes graves du Covid-19. Pour nombre d’entre eux, malgré les efforts de l’équipe soignante, l’issue est fatale. « Il y a beaucoup de décès. On a encore eu cette nuit le décès d’un jeune homme de 31 ans. Mort du Covid, constate le docteur Chabartier avec résignation. Il avait un certain surpoids, mais on a aussi des gens qui sont atteints de formes très graves, sans présenter aucun facteur de risque. »

Voilà déjà six semaines que la Martinique est confrontée à une vague sans précédent de la pandémie due au SARS-CoV-2. Lors de son allocution télévisée du 12 juillet, le président Emmanuel Macron avait décrété l’état d’urgence sanitaire sur cette île des Antilles et imposé un premier couvre-feu. Cependant, malgré le durcissement des restrictions, puis l’entrée du territoire en confinement renforcé le 10 août, la flambée des cas de Covid-19 s’y poursuit inexorablement.

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Mardi 17 août, l’agence régionale de santé (ARS) de Martinique annonçait que le taux d’incidence s’était établi à 1 147 cas pour 100 000 habitants dans la semaine du 9 au 15 août. Ce chiffre vertigineux est, paradoxalement, une bonne nouvelle : une semaine auparavant, le taux d’incidence était de 1 187. La Martinique pourrait donc avoir passé le pic de la quatrième vague de la pandémie. « Cette tendance à la diminution devra être confirmée la semaine prochaine », indique sobrement le dernier communiqué de l’ARS.

« 22 patients en attente »

Cette accalmie toute relative sur le plan des dépistages est loin d’avoir atteint les structures hospitalières de l’île. Le nombre de malades hospitalisés continue toujours d’augmenter : il s’établissait, le 17 août, à 444 patients atteints du Covid-19 dans les hôpitaux et cliniques de Martinique, dont 396 au CHU. C’est 103 de plus que la semaine précédente. En deux mois, le nombre de places en soins critiques a quadruplé sur le territoire : il a été porté à 100, dont 55 au CHU et 18 au sein du module militaire de réanimation, déployé à Fort-de-France début août.

Mais malgré cet effort d’augmentation des capacités, les centres hospitaliers sont saturés. Dans son bureau, le docteur Chabartier consulte son ordinateur. « On a actuellement 22 patients en attente d’une place en réa. Et encore, si on appliquait les critères de la troisième vague, ça nous ferait une bonne centaine de patients en attente, suggère le chef du service. Vous avez 50 patients, il y a deux places : comment faire ? »

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Même s’ils le déplorent, les soignants du CHU de Martinique ne s’en cachent pas : face à l’explosion du nombre de patients, il faut choisir à qui on donne un lit. « Il y a un tri qui est fait », dit Bob Heger. Cet anesthésiste-réanimateur au CHU de Strasbourg est arrivé à Fort-de-France le 11 août. Il fait partie de ces plus de 300 soignants venus de métropole en renfort des équipes médicales antillaises. « On sait que les résultats d’une réanimation sur des personnes âgées ou avec beaucoup de comorbidités sont très mauvais, alors on privilégie ceux qui ont les meilleures chances d’en sortir vivants », confie le médecin alsacien…

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