AU TNB, Les Conséquences, de Pascal Rambert

Des conséquences de nos actes et de nos omissions, dans un spectacle choral

–- Par Janine Bailly –-

Pour ouvrir la nouvelle saison du Théâtre National de Bretagne auquel il est artiste associé, Pascal Rambert, dramaturge et metteur en scène, nous livre, avec Les Conséquences, le premier opus d’une trilogie qu’il dit vouloir achever dans cinq ans, et dont les volets suivants s’intituleraient Les Émotions et La Bonté. Son ambitieux projet est de monter ces pièces en gardant la même distribution, ce qui lui permettrait de suivre le passage du temps, et dans le texte et sur les corps et les voix des actrices et acteurs qui composent en quelque sorte sa famille de cœur et de création : Audrey Bonnet, Anne Brochet, Arthur Nauzyciel, Stanislas Nordey, Laurent Sauvage et Jacques Weber. À ces fidèles viennent ici s’ajouter Marilú Marini, et les plus jeunes frais émoulus des écoles, Lena Garrel, Jisca Kalvanda, Mathilde Viseux et Paul Fougère.

Je suis de celles que de précédents spectacles de Pascal Rambert ont enthousiasmée, mais je reste ici un peu sur ma faim ; à trop vouloir dire, les choses et les personnages finissent me semble-t-il par n’être qu’effleurés, encore que ces derniers soient interprétés avec conviction, et dans une belle énergie ! Le principe de réalité est ici à l’œuvre, en accord avec ce que déclare l’auteur : « Venez voir des vies se croiser, s’affronter, se perdre et se retrouver. Venez voir des corps marqués par le temps, des mots qui coupent et qui résonnent. Et surtout, venez voir ce que le théâtre fait de mieux : capturer la vie en train de se jouer. » Ainsi, chacune et chacun sur scène conserve le prénom qui est le sien dans la vraie vie ; les temps forts qui rassemblent les membres de la tribu ne sont autres que deux mariages et deux enterrements ; les liens, accords et désaccords familiaux, les querelles et les cris – parfois les voix s’égarent dans les aigus comme cela arrive dans nos disputes –, les amours / les désamours, les aveux et réconciliations font écho à des situations que nous connaissons. La force du spectacle réside dans cette façon qu’a le dramaturge de faire s’affronter les individus dans ce qui résonne comme de véritables duels de mots ! 

Au plateau cohabitent trois générations : les grands-parents, Marilú la danseuse et Jacques le psychiatre qui règne sur son monde, linguiste et député-maire ; deux de leurs filles, Audrey qui a épousé Stan et pris Laurent pour amant, Anne et son conjoint Arthur ; et les petits-enfants, Lena fille d’Arthur et Anne, son amie de toujours Mathilde, Jisca fille d’Audrey et Stan, Paul son futur mari. Dans la famille, on est médecin, diplomate, enseignant, artiste, et qu’importe si l’on est nommé l’un à Tulle en Corrèze, l’autre au fin fond de l’Ardèche, ou si l’on se défausse en travaillant dans la publicité après avoir fait de hautes études… On parle politique, on est de gauche ou de droite, pur ou corrompu ; on parle théâtre ou cinéma, citant ses références culturelles : de Chris Marker le film Le fond de l’air est rouge, de Tchekhov La Cerisaie… On fait, jeunes filles attendrissantes bien qu’un peu caricaturales, l’École alsacienne puis l’on devient fondatrices et gérantes d’une association qui aide les enfants des quartiers défavorisés à partir en vacances. On prend amants et maîtresses, et père on accepte bon gré mal gré le mariage homosexuel de sa fille. On est psychiatre et linguiste et l’on finit par perdre ses mots… 

Ainsi passent les années et tous avancent, cahin-caha, entre non-dits, secrets et rancœurs, vérités qui éclatent… le traumatisme initial étant le manque de témoignages d’amour, le manque de compréhension des parents envers leur progéniture. Comment alors retrouver le chemin de la communication, de l’échange véritable, comment briser les murs qui séparent ? La fille aînée de Jacques et Marilú, absente à ces réunions, mouton noir de la famille avec qui elle a coupé les ponts, est le vibrant exemple de ce dysfonctionnement, elle qui souffrant de graves problèmes psychologiques finira par mettre fin à ses jours. 

Après l’entrée en scène du patriarche Jacques, qui déclare à l’urne de sa défunte mère un amour contredit bientôt par son épouse Marilú, les membres de la famille viennent en scène, vêtus de couleurs vives pour les femmes, de noir et blanc pour les hommes, et le spectacle commence tambour battant dans un ballet d’entrées et sorties façon théâtre de boulevard, les bâches blanches du barnum dressé pour les cérémonies et qui occupe tout l’espace du plateau, s’entrouvrant et claquant en place de portes. Arthur Nauzyciel est alors parfaitement dans le ton, son jeu corporel et sa gestuelle évoquant quelque acteur de cinéma muet. Arthur qui fait rire ou sourire, sans cesse à la recherche de son épouse Anne sans laquelle il se sent perdu. Mais Arthur émouvant quand, dans son monologue dit face à nous, il s’interroge sur le sens de l’existence. 

C’est d’ailleurs dans ces moments où, le rythme se ralentissant, les personnages se posent un moment et, cessant de s’agiter en tous sens, se disent en vérité, que l’émotion naît : Audrey a épousé Stan – je ne peux m’empêcher de revoir le couple qui, dans Clôture de l’amour, se déchire et lacère dans deux longs monologues alternés –, et c’est de son amour éternel pour Laurent juste sorti de prison qu’elle nous fait part. Mathilde et Léna, amies de longue date, en robes de mariées nous confient leur histoire, entre douceur, tendresse et attirance physique. Stan, dans une colère maîtrisée, dit sans détours à Jacques ce qu’il pense de lui… 

À l’arrivée, un spectacle dynamique et porté par une troupe talentueuse, mais qui dans l’approche d’une certaine élite sociale, souffre d’un trop plein d’intentions, aussi louables soient-elles. Comme si tout ce qui fait notre actualité devait être évoqué : le féminisme et le refus d’enfant, la libération sexuelle, le conflit des générations, la déliquescence politique et l’acte révolutionnaire, le vieillissement qui entraîne la perte de facultés, etc.

Dans la représentation d’une famille dysfonctionnelle, la pièce fait écho, bien qu’elle ne fonctionne pas du tout sur le même dispositif, à celle de Christophe Honoré, Le ciel de Nantes, vue l’an passé au TNB.

Rennes, le 13 octobre 2025

Photos Paul Chéneau