Au purgatoire de Saint-Pierre

robin_in_woodGuy FLANDRINA est convoqué, le 30 mai 2016, par le délégué du procureur.

Le journaliste sera entendu dans le cadre de l’affaire des objets dérobés et remis au musée Franck Arnold PERRET, à Saint-Pierre.

Action qui n’avait d’autre but que de dénoncer l’absence de sécurité des objets en ce lieu ; pourtant labellisé « Musée de France » ! Notre confrère demande que l’ancien maire soit poursuivi et s’en explique :

Cette opération d’alerte consistait à subtiliser des pièces du musée. Elle a été réalisée dans le cadre d’une enquête visant à démontrer combien le patrimoine historique martiniquais est laissé, en ce lieu, à la portée de tous et peut être dérobé par n’importe qui avec une facilité déconcertante !

FA a publié ce reportage (FA 21/11/2014) sous le titre : « Prise d’otage au musée de Saint-Pierre ». J’y relatais, comment deux pipes, probablement du 18ème siècle et une tête en marbre sculpté −pesant tout de même 6,25 kilogrammes− avaient pu quitter le musée, à quinze jours d’intervalle sans que personne ne s’en aperçoive…

Il a fallu que j’interpelle Mme Brigitte LUPON, Présidente de la Commission Culture Patrimoine et Tourisme de la ville, afin de restituer −en présence du personnel− les pièces « prises en otage » pour qu’enfin la fragilité de cette « foire à la brocante » soit révélée au grand public.

Le 24 novembre 2014, l’actuel maire de Saint-Pierre, Christian RAPHA, signait une tribune (in Politiques Publiques) dans laquelle il soulignait : « En tant que Pierrotins, nous ne sommes aucunement surpris de la facilité avec laquelle Guy FLANDRINA, l’auteur de l’article, a pu soustraire du musée de précieux objets chargés d’histoire.

Ce monsieur, visiblement amoureux de notre ville patrimoine comme de très nombreux martiniquais et visiteurs a, heureusement, rendu le « butin » à l’actuelle élue en charge du patrimoine de Saint- Pierre ; Et nous l’en remercions.

Mais combien d’autres objets ont été effectivement dérobés dans ce musée ? ».

Cette préoccupation est aussi la mienne !

Vols en série

Je me suis procuré le dernier inventaire (27 mai 2015) du musée. Celui-ci révèle que ce ne sont pas moins de quinze pièces qui ont disparu. Pourtant, afin de s’assurer que les biens exposés dans les musées sont bien présents, la connaissance des collections passe par des inventaires et un contrôle régulier de la localisation des biens conservés : une loi de 2002 a fait du récolement décennal une « obligation pour chaque propriétaire de collections », de l’Etat à la plus modeste municipalité. Sa date de départ a été donnée par la publication des décrets d’application de la « loi musées », en 2004. Sous la mandature de Raphaël MARTINE (maire de 2001 à 2014) combien d’inventaires ont été réalisés ? Or, c’est précisément ce dernier qui aurait normalement dû alerter le chef de l’édilité sur la situation de passoire de ce magnifique musée.

Dès lors, je ne peux m’empêcher de me poser cette question : Pourquoi, puisque la justice me convoque n’entend-elle pas aussi M. Raphaël MARTINE sur la base de l’article 432-16 du Code Pénal ?

En effet, cet article stipule : « Lorsque la destruction, le détournement ou la soustraction par un tiers de biens résulte de la négligence d’une personne dépositaire de l’autorité publique, celle-ci est punie d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende ».

Un élu, quel qu’il soit, ne peut se considérer au-dessus des lois. Il se doit de rendre des comptes chaque fois que son comportement ou que ses négligences coupables font du tort à ceux qui l’ont mandaté.

Quel Pierrotin ? Quel Martiniquais, peut-il accepter que le patrimoine de ce pays soit dilapidé sans que ceux qui en ont la charge, la garde, puissent leur rendre des comptes ?

Des voleurs, un responsable… pas coupable !?

Je rappelle que ce musée, labellisé « Musée de France », pouvait prétendre être autre chose qu’une malheureuse « foire aux antiquités » où chacun peut venir se servir et repartir en toute impunité.

L’ancien maire, plutôt que de s’emparer de l’opportunité que je lui offrais de saisir les autorités afin de normaliser ce musée, a préféré ester contre moi en justice pour se dérober à ses responsabilités.

Il me plaît tout de même de rappeler qu’à la suite de la publication de cette enquête qui a mis en exergue les faiblesses structurelles et organisationnelles du musée de Saint-Pierre, la nouvelle édilité de cette ville signait une convention avec l’ex-Région afin de procéder à des travaux. Le président de l’assemblée régionale, Serge LETCHIMY, justifiait ces derniers en ces termes : « ce musée mérite d’être valorisé pour répondre aux exigences de la dimension historique de la ville de Saint-Pierre [ville d’Art et d’Histoire depuis février 1990]. (…) Il s’agit de rénover et d’étendre le bâtiment (…) afin de le remettre aux normes de sécurité actuelles ». Coût estimatif : 1.500.000,00 €.

Indépendance, liberté

Je me refuse à douter de la clairvoyance et de l’indépendance des magistrats. Je ne peux m’empêcher de penser qu’ils tiennent là l’opportunité de faire la démonstration que la Justice sous les cocotiers n’est pas différente de celle rendue sous un chêne…

La République s’honore chaque fois que la liberté de la presse permet l’information citoyenne et la transparence dans la gestion des affaires publiques.

Les juges eux se grandissent quand, face aux politiques qui ont failli, ils osent, comme l’entendait MICHELET : rendre « une Justice digne de ce nom, non payée, non achetée […], sortie du Peuple et pour le Peuple ». Guy FLANDRINA