« Amore », texte et m.e.s. de Pippo Delbono

— Par Michèle Bigot —

Le point de départ, pour l’écriture de ce spectacle, c’est le Portugal, c’est le Fado et une tentative de traduire la « saudade » qu’il exprime en mariant chant, lumière, couleur et danse. Incarner la poésie du fado, la faire vivre sur scène en usant de tous les moyens de l’art dramatique. La tension entre le manque et l’espoir est matière dramaturgique.

Evitare l’amore, abbracciare l’amore
« éviter l’amour, embrasser l’amour »

clame le poète, après son homologue brésilien Carlos Drummond De Andrade. Amore fait ce voyage sentimental qui partant d’Italie, nous conduit vers le Portugal en passant par le Brésil, l’Angola et le Cap-vert. Les langues romanes se combinent dans cette ode à l’amour, psalmodiée au micro par Pippo Delbonno, qui fait répondre la musique de la langue italienne aux accents mélancoliques du fado. La poésie lyrique qu’il scande mêle poèmes brésiliens, portugais, allemands, français. Tous chantent cette aspiration désespérée à l’amour, qui nous fait le rechercher tout en le craignant et souvent en le fuyant.

Pour intense et vibrante qu’elle soit, portée comme une mélopée par la voix du dramaturge, la poésie ne suffirait pas à occuper l’espace, n’était la scénographie qui l’accompagne. Le parcours initiatique de l’amour s’accompagne d’un défilé de tableaux vivants, baignés dans une lumière mouvante, qui joue des ombres et des éclats, comme des couleurs allant du rouge et noir de la passion au blanc immaculé de la fête. Cette série de tableaux, inspirés de multiples traditions, évoquant tour à tour les couleurs de la tradition mexicaine, ses étoffes et ses parures, les danses et évolutions rythmées de l’Italie du sud, n’est pas sans évoquer les mystères des religions antiques. L’ensemble baigne dans le sacré et tel tableau fait revivre sur scène le culte étrusque ou les fresques pompéiennes.

La dramaturgie tient le spectateur captif, alternant rythmes langoureux et syncopés, tableaux contemplatifs et danses frénétiques, racontant le plein et le vide, déchirant l’espace de la puissance d’un fado, pour laisser place au silence et au vide. L’espace scénique est généreux, occupé par un unique arbre mort, qui reprendra vie sous nos yeux, et à l’ombre duquel Pippo viendra finalement s’allonger pour y chercher le repos.

La nostalgie s’incarne sous nos yeux, ou plutôt la « saudade », qui dit mieux cette tension entre manque et espoir. c’est le blues de la Méditerranée, le chant profond , la canto jondo des Andalous, une leçon de ténèbres éclairée du vibrant espoir amoureux. La sensualité ardente et caverneuse des chants est tour à tour soulignée par le silence ou enlevée par les évolutions joyeuses de la danse. Rien de plus émouvant que ces comédiens qui se présentent à nous, corps fatigués ou contrefaits, visages grimaçants et sublimes, pâles dans la lumière blanche ou grimés à l’excès, carnaval des vivants dans leur joie et leur souffrance.

La spectateur est tendu de part en part, captif, subjugué par l’émotion qui transpire de tous les pores du spectacle. Pippo Delbono manifeste un art consommé de la scène. Il nous manipule à sa guise pour notre plus grand plaisir- ou faudrait-il dire de notre jouissance-. Une heure de spectacle et on sort retourné, on a assisté à une cérémonie païenne. On n’a pas assisté, on a communié dans ce rituel. difficile d’en parler au sortir de ce bain, le silence y conviendrait mieux que la parole. Le sûr, c’est que les images et le chant continueront longtemps à hanter notre mémoire et nos rêves.

Michèle Bigot

ERT, La Criée, Marseille, 7-10.12.2023

 

Création : Pippo Delbono / Interprétation : Dolly Albertin, Gianluca Ballarè, Margherita Clemente, Pippo Delbono, Ilaria Distante, Aline Frazão, Mario Intruglio, Pedro Joia, Nelson Lariccia, Gianni Parenti, Miguel Ramos, Pepe Robledo, Grazia Spinella / Musiques originales : Pedro Jóia et compositeurs variés / Création décor : Joana Villaverde / Création costumes : Elena Giampaoli / Création lumière : Orlando Bolognesi / Création son : Pietro Tirella / Chef machiniste : Enrico Zucchelli / Conseiller littéraire : Tiago Bartolomeu Costa / Direction technique : Fabio Sajiz / Régie son : Giulio Antognini / Régie lumière : Alejandro Zamora / Régie costumes : Elena Giampaoli / Régie décor : Enrico Zucchelli / Assistanat : Susana Silverio / Responsable de projet au Portugal : Renzo Barsotti / Responsable de production : Alessandra Vinanti / Diffusion : Silvia Cassanelli / Administration : Davide Martini