« Afrodyssée » : une merveille d’invention

— Par Selim Lander

Lors de notre précédente chronique sur le festival CEIBA (1), nous regrettions que la meilleure pièce ait été programmée en premier. C’est encore plus vrai pour cette « Afrodyssée » ; la première pièce, Metamorphosis, est en effet une merveille d’invention qui contraste malheureusement avec les deux pièces suivantes, toujours exécutées par la compagnie cubaine « Rakatan » dirigée par Nilda Guerra Sanchez.

Metamorfosis

Cette pièce pour deux danseurs et une danseuse chorégraphiée par Narcisso Medina s’ouvre comme une fleur qui déploie ses pétales. On découvre alors que les deux danseurs encadraient la danseuse dont le corps est contenu dans un cylindre de la taille d’un baril de pétrole. Les deux danseurs vont se détacher d’elle et elle restera presque jusqu’à la fin prisonnière de son tonneau, ce qui ne l’empêchera pas de le faire basculer et de ramper grâce aux mouvements du haut de son corps, puis de le redresser à la force des bras, retrouvant ainsi sa position initiale, tandis que les deux hommes dansent de leur côté, ensemble ou séparément, sur une musique électronique. Cette pièce inventive qui allie les tableaux gracieux à d’autres plus brutaux est à jute titre devenue un classique de la danse cubaine contemporaine.

Sulkary

Sulkary qui arrive en second (et non en premier comme indiqué sur le programme), une pièce créée en 1971 par Eduardo Rivero, fait d’abord intervenir trois danseuses qui seront accompagnées plus tard par trois danseurs est également un classique de la danse cubaine mais d’un intérêt bien moindre puisque la danse se résume ici pour l’essentiel à des ondulations du bassin d’avant en arrière qui pour sensuelles qu’elles soient deviennent rapidement répétitives. Quand les trois danseurs apparaissent, chacun muni d’un bâton, ils ne font pas preuve de la même souplesse et leurs efforts pour remuer eux aussi le bassin seront bien moins efficaces ! Si la gestuelle, les bâtons et la musique jouée – comme la suivante – sur la scène par un orchestre de quelques musiciens dont un chanteur s’exprimant dans une langue africaine ne laissent aucun doute quant aux origines de cette pièce, on regrette qu’elle ne s’en soit pas suffisamment affranchie et que la chorégraphie, de ce fait, ne soit pas plus inventive.

Sa ou sav

Sa ou sav (vous savez quoi), pièce pour huit danseurs, est le résultat d’une résidence d’artiste à Tropiques-Atrium de Kephara, danseur d’origine martiniquaise installé à Cuba, qui s’essaye ici à la chorégraphie. Les applaudissements enthousiastes mais non unanimes prouvent qu’elle a su plaire à une partie du public et, de fait, elle avait de quoi séduire le public nourri aux clips des artistes populaires ici comme ailleurs. Le premier tableau, en particulier, qui montre deux couples, le garçon derrière la fille, mimant une copulation sur une chanson aux paroles suggestives semblait directement tiré d’un de ces clips dont on ne saurait dire qu’ils cultivent vraiment la sensibilité esthétique de notre jeunesse ; une autre forme de sensibilité, moins sophistiquée, est à l’évidence visée. Ceci posé, la chorégraphie de Kephara, servie par de bons danseurs, ne démérite pas. Il y a même des bons moments mais enfin les amateurs de la « danse contemporaine » telle qu’on l’entend habituellement (celle qui est illustrée par les chorégraphes cités dans notre précédente chronique et bien d’autres) auraient regretté de s’être déplacé pour cette soirée s’il n’y avait eu, au début, la pièce de Narcisso Medina.

(1) https://www.madinin-art.net/ouverture-du-festival-ceiba-mars-2024/