« A son ombre » : les hontes de Claude Askolovitch

Le journaliste signe un texte déchirant et lumineux sur son épouse défunte.

— Par Raphaëlle Leyris —
« A son ombre », de Claude Askolovitch, Grasset, 320 p., 20,90 €, numérique 15 €.

Elle disait souvent : « Il n’y a rien de plus beau que deux petits vieux qui se donnent la main. » Valérie et son époux n’auront pas eu le temps de devenir ces amoureux chenus : elle est morte à 44 ans, le 24 juillet 2009. Dix ans plus tard, son veuf, Claude Askolovitch, a commencé l’écriture d’A son ombre, texte déchirant, tourmenté, qui retrace une décennie passée à vivre sans pouvoir se le pardonner. Vivre, c’est-à-dire aimer à nouveau, en s’éprenant très vite de Kathleen, puis avoir avec celle-ci deux enfants, qu’une génération sépare de la fille et du fils nés de son mariage avec Valérie.
En exergue, le journaliste (aujourd’hui à France Inter et Arte) a placé une phrase tirée de Chaos calme, de Sandro Veronesi (Grasset, 2008). Ce roman italien sur un veuf arborait, lui, cette citation de Beckett : « Je ne peux pas continuer. Je vais continuer. » Elle conviendrait parfaitement à A son ombre, récit d’un écartèlement, où se décrit un homme qui déborde de douleur dans son deuil et de félicité dans son nouveau couple, sans que l’une soit moins authentique que l’autre. « Je dois tromper quelqu’un, mais je ne sais pas qui », note celui qui trace de superbes portraits, tout en nuances, de la morte, avec laquelle il a vécu vingt ans, et de la vivante, plus jeune que lui d’autant.
Le chagrin infini de la perte

A son ombre est un livre littéralement beau à pleurer quand il dit le chagrin infini de la perte, sans cesse réactivé par des petits riens : un bibelot, un vieux peignoir, une paire de boucles d’oreilles conservée dans un portefeuille, un restaurant autrefois familier et désormais fermé. Mais plus encore, peut-être, que celui des choses perdues, le livre fait le compte des hontes de l’auteur. Honte que Valérie soit morte alors qu’ils étaient fâchés, et qu’elle lui ait lancé en guise de derniers mots : « Laisse-moi. » Honte de n’avoir pas vu qu’elle était rongée par une maladie qu’une opération bénigne rendrait fatale. Honte d’avoir été pour elle un mari si souvent égoïste et impatient, et qu’elle soit partie à une époque où, pétri d’hubris par une carrière alors à son apogée, il n’était guère aimable. Honte d’avoir si vite imposé à ses grands enfants sa nouvelle compagne, et de ne pouvoir être pour cette dernière qu’un homme flottant, perdu, hanté par un fantôme, parfois brutal et méchant. Honte, encore, des trahisons qui ont émaillé sa vie professionnelle…

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