A propos d’une soirée d’art lyrique, quelques réflexions sur la culture en Martinique

Par Selim Lander.

Steeve Vérayie Jurad

Steeve Vérayie Jurad

Le directeur de l’Atrium, Bernard Lagier, a eu une très bonne idée de consacrer le dernier événement de l’année 2012 à cet art qui fut jadis si populaire en Martinique, comme d’ailleurs dans toutes les provinces françaises. Il reste un public pour cette forme d’expression artistique, la salle Fanon de l’Atrium était plutôt bien remplie, ce 20 décembre, et le fait que l’un des artistes sur la scène était d’origine martiniquaise n’est sûrement pas l’unique raison de ce succès.

Sur la scène donc deux chanteurs – Steeve Vérayie Jurad, baryton-basse, le Martiniquais et Jessica Wise, soprano ; au piano Mireille Santerre. Le trio de jeunes artistes s’est constitué à Montréal, ville où Steeve Vérayie Jurad a poursuivi ses études de musique. Le programme mêlait des grands airs d’opérette et d’opéra accompagnés au piano, plus trois morceaux pour le piano seul. Le Steinway  de l’Atrium sonne encore mieux dans la salle Frantz Fanon, aux dimensions raisonnables, que dans la grande salle, celle que l’on doit désormais appeler la « salle Aimé Césaire » (sans crainte d’introduire une confusion avec le théâtre municipal déjà baptisé ainsi !) – et les morceaux joués en solo par Mireille Santerre sont ceux qui ont rencontré le plus de succès, à l’applaudimètre, avec toutefois l’air de Don Basilio du Barbier de Séville interprété au final sur le mode comique par un Steeve Vérayie Jurad alors en pleine possession de sa voix. Car ce ne fut pas toujours le cas dans les airs précédents où l’on pouvait avoir l’impression que le chanteur se retenait un peu. Une remarque encore plus justifiée à propos de la soprano dont la voix, sans être déplaisante, avait souvent du mal à passer la rampe.

Quoi qu’il en soit cette soirée fut agréable de bout en bout, même si l’on ne pouvait pas échapper à une certaine nostalgie à l’idée que cette musique qui fut jadis authentiquement populaire est aujourd’hui totalement ignorée des jeunes générations – dans leur immense majorité – abreuvées qu’elles sont d’une autre musique aux mélodies aussi misérables que les textes. À cet égard on ne peut que saisir une nouvelle fois l’occasion qui nous est donnée grâce à Madinin-art pour lancer un appel à la Puissance publique. Il est proprement scandaleux, compte tenu du nombre plus qu’élevé de chaînes de radio existant en Martinique, de laisser sur toutes ces chaînes un monopole à la musique contemporaine (à l’exception de quelques incursions dans le répertoire traditionnel antillais). Sauf hasard extraordinaire (s’il tombe sur RCA-RFI les rares nuits où la station diffuse de la musique classique), l’auditeur martiniquais est condamné à vivre dans un univers sonore d’où sont en permanence exclus tous les chefs d’œuvre du passé. Pourquoi France Musique ne diffuse-t-elle pas sur notre sol ? Pourquoi – élargissons  le propos – si l’on veut un tant soit peu s’instruire à la radio, en est-on réduit ici à écouter seulement France Inter ? Qui a décidé de nous priver de France Culture ? Pourquoi RCA-RFI au lieu de RFI en permanence, sachant que la plupart du temps l’antenne est décrochée de RFI et diffuse encore et toujours de la musique moderne (avec quand même – il faut le reconnaître – une prédilection pour le jazz, qui la situe cent coudées au-dessus des autres) ? La radio est un incomparable instrument d’éducation et de culture. Les hommes politiques martiniquais se gargarisent souvent du « haut niveau » d’instruction de la population martiniquaise, dans lequel ils voient un atout par rapport au reste de la Caraïbe. Il est temps de prendre conscience que cette réputation est en grande partie usurpée. Il faut réformer le système de l’Éducation nationale, évidemment. Mais à côté de l’enseignement, les média(s) « intelligents » ont un rôle essentiel à jouer. Encore faudrait-il ne pas en priver volontairement la population martiniquaise.

Décembre 2012.