À l’Opéra Bastille, la finale du concours « Voix des Outre-Mer »

« Des voix lointaines qui nous touchent au plus près », un événement qui attire l’attention sur le nécessaire développement de formation musicale dans les territoires ultra-marins.

— par Janine Bailly —

Le vendredi 22 janvier 2021 se tenait à l’Opéra Bastille, à Paris, la finale nationale de la troisième édition du concours Voix des Outre-Mer. Imaginée et organisée par le contre-ténor Fabrice di Falco et par Julien Leleu, président de l’association Les Contres Courants, cette compétition a pour objectif de mettre en lumière les talents ultra-marins, encore trop peu présents sur les scènes lyriques. Cette année, la crise sanitaire ayant empêché l’organisation des finales de sélection à Saint-Pierre et Miquelon, Wallis et Futuna, et en Nouvelle-Calédonie, les candidats représentaient sept territoires. À ce concours, ouvert aux voix ultra-marines, tout candidat peut se présenter avec ou sans formation, et sans limite d’âge. Au terme des éliminatoires régionales, les finalistes, au nombre de seize cette année, sont invités à Paris. Là, ils reçoivent une formation gratuite, sous la forme de masterclass, qui les prépare au mieux à la dernière épreuve.

C’est le baryton martiniquais Edwin Fardini, âgé de de 25 ans, qui a remporté le prix le plus prestigieux. Artiste déjà expérimenté, Edwin a une fois de plus démontré une puissance vocale maîtrisée en chantant le gospel Deep River¹.

À l’Opéra Bastille 2021 

Après plusieurs finales territoriales, à Mayotte, en Guyane ou encore à la Réunion, c’est à l’Auditorium de l’Opéra Bastille à Paris que le Concours Voix des Outre-mer s’achève pour les seize chanteurs retenus. Richard Martet, rédacteur en chef de Opéra Magazine, préside le Jury depuis le début, et il est ravi de l’évolution de la compétition : « Je suis absolument enchanté, je suis très content puisque quand Fabrice di Falco m’a parlé de ce projet il y a trois ans je lui ai dit « ok on y va » et puis la première édition c’était déjà très bien, et puis la deuxième édition c’était encore mieux et là cette année, on a fait une édition absolument formidable, ce concours prend de l’ampleur, il passe une étape à chaque fois, et ça je dois dire que pour moi c’est une énorme satisfaction. »

Tout au long de la soirée, dédiée à Christiane Eda-Pierre, remarquable soprano martiniquaise qui nous a quittés en septembre dernier, les candidats se sont succédé, face au jury où siégeait notamment Alexander Neef, directeur de l’Opéra de Paris, une institution qui a récemment entamé une réflexion interne sur la diversité : « C’est l’avenir de l’Opéra, il faut toujours s’intéresser à de jeunes voix, et surtout à des jeunes voix de partout, partout sur le territoire français et dans le monde aussi. Le talent est là et il faut le trouver, il faut le former et créer, établir un chemin pour qu’il puisse retrouver les grandes scènes. »

Après le passage des seize candidats, et les délibérations du jury, c’est Roselyne Bachelot qui a annoncé le nom du grand vainqueur de cette édition, Edwin Fardini. Déjà Révélation Classique de l’Adami 2019 et Lauréat du CNSMD – Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris –, le baryton martiniquais est au début d’une belle carrière, et c’est avec Deep River qu’il a conquis le jury : « Je suis très heureux d’avoir gagné ce prix. D’une certaine manière ça me conforte dans les choix que j’ai pu faire dans ma carrière. Ne serait-ce que le choix d’interpréter Deep River et pas un air d’opéra, j’aurais pu en tant que chanteur lyrique professionnel, aller prendre un air de Mozart par exemple, et puis me présenter mais Deep River, un spiritual, un negro spiritual, c’est quand même quelque chose de particulier, et d’avoir pu en plus gagner ce concours avec ça, c’est formidable ! » Le Prix Jeune Talent a été attribué à Auguste Truel², et plusieurs mentions d’encouragement ont récompensé les chanteurs et chanteuses autodidactes (…)

Et c’est en musique, avec tous les talents réunis, interprétant un hymne incontournable du répertoire américain, Amazing Grace³, que s’est achevée la soirée.

Si vous  voulez connaître tous les candidats, rendez-vous sur cette page !
Si vous  voulez connaître Edwin Fardini et son début de carrière, consultez la page Resmusica, de Liszt à Mahler, et le site Francetvinfo : un parcours exemplaire.

Fabrice di Falco et le concours :

« On s’adapte à chaque lauréat pour l’aider au plus loin. » Fabrice di Falco  a vu cette année encore, émerger des jeunes talents, qui ont pu développer leur technique vocale grâce à ce concours, mais aussi des chanteurs diplômés de grands conservatoires. Le contre-ténor est fier de l’ampleur prise par la manifestation. Il a remarqué que « le regard sur ce concours a changé ». Alors qu’il déplorait le manque de partenaires lors de la première édition, il est ravi de constater que pour cette troisième « il y a un réel engouement » autour de cet événement. Preuve en est : la soprano Marie-Laure Garnier, gagnante de la première édition, a ensuite été remarquée par de nombreux professionnels et par le public. Elle est ainsi nommée cette année, dans la catégorie Révélation Lyrique, aux Victoires de la Musique classique.

Un appel à la création de conservatoires

Edwin Fardini : « Il y avait des candidats qui n’avaient pas entendu parler d’art lyrique avant de participer au concours, et j’ai pu voir comme ils ont relevé le défi. Ce concours m’a aussi fait prendre conscience que le monde de l’opéra est un milieu très opaque, et beaucoup des jeunes qui participaient manquaient cruellement d’informations. »

Comme tout événement culturel en cette période de crise et d’empêchement, cette soirée lyrique vibrait de joie et d’émotion. Mais bémol il y a, qu’il faut bien signaler : avant de laisser place aux finalistes, accompagnés par le pianiste et chef de chant martiniquais David Zobel, Fabrice di Falco a insisté sur le courage de ces “jeunes voix”. Leur parcours nécessite force de caractère et investissement personnel opiniâtre. En effet, Martinique, Guadeloupe, Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna sont privés de structures d’enseignement, la formation des étudiants reposant sur leur propre volonté et sur celle de leurs professeurs qui, eux aussi, souffrent de l’absence de cursus pour parfaire leur pédagogie. Fabrice di Falco a tenu à interpeller fort à propos la Ministre de la Culture sur ce manque, ce à quoi Roselyne Bachelot a répondu en ces termes :  « J’ai rappelé que ce sont les collectivités territoriales qui ont fait d’autres choix. En particulier, mon ami et prédécesseur Frédéric Mitterrand avait voulu créer ces conservatoires aux Antilles, et il n’a pas été suivi par les collectivités territoriales qui ont fait d’autres choix, que je respecte. À partir du moment où les collectivités territoriales antillaises se mobiliseront  – il y a un Conservatoire à la Réunion et un Conservatoire en Guyane – nous les suivrons. »

Un appel à la création de conservatoires déjà lancé à Saint-Pierre de la Martinique, lors du festival Filao, en décembre 2020. On peut aussi rappeler les faits suivants (lire l’intégralité de l’article sur RCI, paru en 2018) : « Le projet d’un conservatoire départemental de musique, danse et théâtre en Martinique avait été lancé en 2010. 2010, pour comparer, c’est justement l’année où la Réunion a ouvert son conservatoire à rayonnement régional. 4 sites répartis sur l’île. Une vingtaine de disciplines qui accueillent chacune 20 élèves et déjà des jeunes prodiges qui continuent leur cursus à Toulouse ou à Paris, et reviennent régulièrement sur leur île partager leur savoir-faire. Huit ans plus tard, le dossier semble avoir été abandonné… 7 millions 209 600 euros. C’est ce que devait coûter la création d’un Conservatoire départemental de musique, danse et théâtre en Martinique. Un projet voté en 2008 et porté par Claude Lise, alors président du Conseil Général. En 2010, il avait d’ailleurs posé la première pierre du bâtiment avec le Ministre de la culture de l’époque Frédéric Mitterrand. Le conservatoire devait voir le jour sur un terrain de 2500 m², sur la route de Desrochers. »

Le terrain est toujours là, qui attend, qui fut soigneusement nettoyé avant la pose de la première pierre. Derrière le site dit « du Vieux Moulin », à Fort-de-France… Un lieu aujourd’hui reconquis par la végétation… Quant au Conservatoire promis, lui, c’est l’Arlésienne… Un crève-cœur pour tous les amoureux de la musique, une perte bien regrettable pour la jeunesse martiniquaise. Mais ma dernière information datant de 2018, je ne sais à quelle étape de sa réalisation se trouve ce beau projet, s’il a repris son cours ou s’il est, avec d’autres, hélas tombé aux oubliettes ! Affaire à suivre…


  1. Deep River est un spirituel afro-américain anonyme, enregistré pour les premières fois  en novembre 1923 par Marian Anderson, en 1927 par Paul Robeson. Et plus près de nous, par Mahalia Jackson en 1964, et  Barbra Streisand en 1997.
  2. Auguste Truel (Haïti) est élève au conservatoire de l’Aveyron. À seulement seize ans, il a remporté le Prix jeune talent lors de la finale Île-de-France. Il vient également de décrocher le Second Prix, ainsi que le Prix jeune espoir du Concours International Léopold Bellan.

  3. Amazing Grace est l’un des cantiques chrétiens les plus célèbres dans le monde anglophone. La première publication des paroles écrites date de 1779. Le thème de ce cantique évoque la rémission des péchés par la foi en Dieu et le salut par la grâce, ce qui renvoie à son écriture par l’ancien négrier John Newton, qui se considère comme un pécheur repenti et sauvé par la grâce divine. Le 26 juin 2015, suite à la fusillade de l’église de Charleston, Barack Obama, Président des États-Unis, entonne seul ce chant, au terme de l’éloge funèbre qu’il prononce en mémoire de Clementa Pinckney, le pasteur, et des huit fidèles assassinés, le 17 juin 2015, par Dylann Roof, dans une église fréquentée par la communauté noire de Charleston, en Caroline du Sud.