« Miscellanées » de Molière,Tchekhov, Ionesco et Dubillard par l’Adapacs

— Vu par José Alpha —
miscellanees-325-bAu sortir de la pièce de Michel Dural placée, selon l’auteur, au service de Molière, Tchekhov, Ionesco et Dubillard, j’ai trouvé sur le web la définition du mot Miscellanées qui titre la pièce : « un genre littéraire composé de textes divers, « mélangés » avec une unité plus ou moins manifeste. C’est une technique de fragments, une sorte de mosaïque littéraire… »
C’est alors que j’acceptai mieux mes interrogations sur le sens qu’a voulu donner le metteur en scène d’une comédie interprétée sous sa direction par les élèves, tout de noir vêtus, de l’atelier théâtre de l’Association pour le Développement des Activités et des Pratiques Artistiques et Culturelles Scolaires (ADAPACS), et dont le prénom de chacun, sur le programme, commence curieusement par la lettre R.
Le spectacle commencerait-il par une devinette ? En tout cas, il s’agit d’une comédie annoncée dont le titre étrange impose une recherche sémantique comme une accroche du spectateur. C’est manifestement là aussi l’intention de l’auteur qui met en scène les travaux d’une année de l’atelier de formation.
La représentation de la séance de travail commence par un «warming up» généralement issu de l’Ecole de Stanislavski, repris plus tard par les écoles du Théâtre de la Cruauté d’Antonin Artaud et bien d’autres. Il s’agit de l’échauffement physique du corps, des articulations, de la perception de l’autre et de l’environnement. Un exercice incontournable avant toute mise en situation, et dont l’intensité renseigne généralement sur le genre théâtral qui sera développé par l’atelier.
Il est évident que la préparation physique du mime et du pantomime de Dario fo, d’Eugénio Barba et de l’acteur de la Comédia del arte de Molière comme celle du Kotéba du pays Bambara (Mali) ou du Théâtre Balinais, sera plus musculaire, plus physique que les séances appliquées aux acteurs des comédies de Labiche, de Ionesco ou de Guitry. Quoique dans la comédie de « Boulevard » bien rythmée, le corps exprime autant que les « bons mots » que nous dégustons chez Courteline ou chez Raymond Devos par exemple. « Mon théâtre, je le joue avec mon corps et ma voix ; en scène, je suis le clown de la vie » a-t-il souvent précisé.
Cette étape de l’échauffement ayant été très vite escamotée au profit d’extraits dialogués dont les liens écrits par le metteur en scène s’appliquent à cadrer les progrès des élèves, le spectateur comprend tout de même et avec plaisir les multiples manières de « jouer » le texte porté essentiellement par « les mots dits ». Quelques situations suggestives bien menées par « les élèves » qui jouent à jouer ou plutôt qui jouent à apprendre à jouer, ont donné fort heureusement envi à l’auditoire de partager la formation de l’acteur dispensée par l’atelier.
Quelquefois fastidieux pour un public bon enfant mais surpris par la présence trop répétitive, narcissique, du metteur en scène, au détriment des inquiétudes, des doutes, des cauchemars, des conflits qui taraudent les interprètes et le metteur en scène lui mème, les scènes les plus abouties et qui évidemment clôturent les travaux de fin d’année ont tout de même réveillé les spectateurs qui s’enfonçaient déjà dans le confort ouaté des situations déployées successivement sous ses yeux.
La scène de séduction par exemple entre « l’appétissante » Elmire et le Tartuffe de Molière, autant que celle extraite de « Une demande en mariage » de Tchékhov qui campe les disputes sur la propriété « du pré aux vaches » enclavé entre les terres du voisin (Yvan – Michel Herland) et celles de la pauvre Natalia (Daouïa Gacem) gonflée de désir, qui attend de son voisin cancanier un sursaut de virilité, ont permis l’émergence encourageante de certains élèves qu’il n’est pas d’usage de distinguer à ce stade de la formation.
Présenter de cette manière, les travaux de l’atelier comme le font toutes les écoles relèvent en effet d’un double défi ; d’une part montrer que l’enseignement au théâtre est d’abord d’apprendre ce qu’il ne faut pas faire, (ce qu’il faut faire ne s’apprend pas, précise le Roumain Radu Penciulescu) pour arriver à l’état de vigilance exceptionnelle où on est à la hauteur de tous les possibles qui s’articulent avec la réalité. D’autre part, apprendre à éliminer tout ce qui empêche à l’ « agir » de se révéler, notamment la peur d’agir.
Jaime Jaimes, formateur Argentin invité par Aimé Césaire en 1985 à former à l’art théâtral de jeunes comédiens du Sermac, devenus formateurs aujourd’hui comme notamment Lucette Salibur, Roger Robinel, Annick Justin Joseph, Daniel Gigault et moi-même, s’appliquait à nous répéter que « le corps est un dépôt de mémoires, mais qui n’est pas stratifié de façon mécanique : il l’est sous forme d’un réseau de solutions déjà vécues, prêtes à résoudre ce qui peut advenir, mais qui vont se combiner d’une façon nouvelle adaptée à ce qui advient effectivement. » Un peu comme les mots en nous, pris dans des phrases dites ou déjà entendues, sont prêts à se combiner, sur le champ, dans des phrases nouvelles énoncées en réponse à une situation actuelle effective. Tout cela au rythme des passions, des bouleversements et des paradoxes chantés, dansés et enjoués de la comédie (créole). « Le comédien est bien un athlète des sentiments. »
Le training du comédien ne peut donc pas se résumer au texte même dit avec conviction ; il doit intégrer me semble-t-il, en paraphrasant Constantin Stanislavski, le dialogue tonitruant des corps pour faire éclater sur la scène « le sens de la vérité » par un travail physique détaillé sur le comportement du personnage et la recréation de l’environnement par ses sens.
La vie quotidienne offre en effet mille possibilités de concentration sur tel ou tel sens, ou plus profondément de mise en jeu de ce corps-dépôt de mémoire à travers chaque acte. La comédie ne s’exprime pas seulement avec les mots mais trouve son épaisseur dans la « gaité » des corps habités comme dans la situation de la «désirable» Elmire vêtue de cette éclatante robe, qui dut subir derrière le sofa, les assauts du goujat deTartuffe. Scène qui a soulevé la salle.
« En fait, ma tâche est de parler à l’acteur dans son langage. Pas de philosopher ce que je trouve très ennuyeux. » C. Stanilavski.

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