— Par Hélène Lemoine —
Chaque 23 août, le monde entier commémore la Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition, instaurée par l’UNESCO en 1997. Cette date n’a pas été choisie au hasard : elle rappelle l’insurrection éclatée dans la nuit du 22 au 23 août 1791 à Saint-Domingue, alors colonie française. Ce soulèvement, le plus vaste jamais mené par des esclaves dans l’histoire moderne, bouleversa durablement le monde.
Un soulèvement qui changea le cours de l’histoire
À la fin du XVIIIe siècle, Saint-Domingue était la colonie la plus riche de l’empire français, surnommée la « perle des Antilles ». Mais sa prospérité reposait sur un système brutal : près de 500 000 Africains et Afro-descendants y vivaient réduits en esclavage, dont des dizaines de milliers nouvellement déportés d’Afrique.
Les tensions s’accumulaient déjà : les libres de couleur, bien qu’affranchis, réclamaient l’égalité des droits, inspirés par la Déclaration des droits de l’homme. Leur insurrection, menée par Vincent Ogé en 1790, fut écrasée, mais elle contribua à nourrir la révolte.
Le signal décisif fut donné lors de la cérémonie vaudoue du Bois-Caïman, dans la nuit du 13 au 14 août 1791, sous la direction de Boukman. Quelques jours plus tard, dans la nuit du 22 au 23 août, des milliers d’esclaves incendiaient plantations et sucreries, menés par des figures comme Jean-François, Biassou, Jeannot et Toussaint Louverture.
Face à cette vague incontrôlable, le commissaire Sonthonax proclama, le 29 août 1793, l’abolition de l’esclavage à Saint-Domingue. La Convention généralisa la mesure à toutes les colonies françaises en février 1794. Mais seule l’île réussit à préserver cette liberté, malgré les luttes fratricides, l’expédition militaire envoyée par Bonaparte en 1802 et les violences de Rochambeau.
Le 18 novembre 1803, les troupes françaises furent battues à Vertières. Le 1er janvier 1804, Jean-Jacques Dessalines proclama l’indépendance et rendit à l’île son nom originel : Haïti, premier État noir libre du monde moderne.
Devoir de mémoire et appel à l’action
En souvenir de cette épopée, l’UNESCO a choisi le 23 août comme journée universelle de mémoire. Les premières commémorations eurent lieu en 1998 en Haïti et en 1999 à Gorée, au Sénégal.
Cette journée poursuit plusieurs objectifs :
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inscrire la tragédie de la traite et de l’esclavage dans la mémoire collective ;
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comprendre les causes, les conséquences et les héritages de ce système ;
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analyser les interactions qu’il a générées entre l’Afrique, l’Europe, les Amériques et les Caraïbes ;
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mobiliser les sociétés contre toutes les formes modernes d’exploitation.
« Il est temps d’abolir définitivement l’exploitation humaine et de faire reconnaître en tous lieux l’égale et inconditionnelle dignité des individus. Souvenons-nous aujourd’hui des victimes et des combattants d’hier, pour que les générations futures y trouvent la force de bâtir des sociétés justes. »
(Déclaration de l’UNESCO)
Le programme « La Route de l’esclave »
Bien avant la création de cette journée, l’UNESCO avait lancé en 1994 le projet « La Route de l’esclave », destiné à briser le silence sur cette histoire et à en transmettre la mémoire. Il soutient la recherche, valorise les lieux de mémoire et encourage le dialogue interculturel.
En 2024, son 30ᵉ anniversaire a été marqué par la création du Réseau UNESCO des lieux de mémoire liés à l’esclavage et à la traite, ainsi que par les premiers Dialogues sur la justice réparatrice, autour du thème « Construire l’égalité, la guérison et la compréhension ».
Une mémoire portée par tous
L’UNESCO appelle les États membres à impliquer leurs populations dans ces commémorations : jeunes, éducateurs, artistes, intellectuels, sportifs et société civile. Des personnalités telles que le musicien Marcus Miller, nommé Artiste pour la Paix, participent également à la transmission de cette mémoire par la culture et la création.
Héritage universel
La Journée du 23 août n’est pas seulement un hommage aux victimes et aux héros de la lutte contre l’esclavage. Elle est un rappel : la liberté a été conquise par ceux qui en étaient privés, et leur combat continue d’inspirer les peuples du monde entier dans leur quête de justice, de dignité et d’égalité.