« Last of the Soviets », conception et m.e.s. Petr Bohac
— Par Michèle Bigot —
La Russie est très présente sur la scène théâtrale française. Non la Russie impérialiste et la barbarie d’un Poutine, mais la Russie des résistants, la Russie des démocrates et du peuple qui souffre. C’est ainsi qu’après La Guerre n’a pas un visage de femme, texte de Svetalana Alexievitch, mis en scène par Julie Deliquet, lors du Festival des Comédiens de Montpellier et après le spectacle Alexeï et Yulia, proposé au théâtre des Halles lors de la présente édition du Festival D’Avignon, on a pu assister à une nouvelle interprétation des textes de S. Alexievitch, dans un spectacle intitulé The Last of the soviets.
Cette proposition théâtrale réalise un montage de différents extraits, concernant aussi bien la catastrophe de Tchernobyl que la « grande guerre patriotique » ou l’effondrement de l’URSS.
Au plateau Inga Zotova-Mikshina et Roman Zotov-Miksin, deux acteurs russes en exil nous dévoilent avec humour la cruauté de la vie quotidienne en Russie soviétique. Dans un récit mené tantôt en russe tantôt en anglais, avec quelques parenthèses en français, ils nous content l’horreur, les massacres, la peur et la misère, sans jamais se départir de l’humour noir qui les sauve. au moyen d’un théatre d’objets. Ils évoquent efficacement la souffrance, la tuerie, le chaos soviétique qui fait fi de l’humain. Par un habile procédé de projection vidéo, les objets et les mains qui les activent sont donnés à voir en gros plan. Il ne s’agit pas d’illustration mais bien d’évocation, avec un décalage humoristique entre propos et image. dispositif modeste mais beaucoup plus efficace que le défilé de personnages proposé par Julie Deliquet. Et surtout, on a bien affaire ici à du théâtre, moyennant un jeu d’illusions, un jeu d’acteur reposant sur le mime et un décalage éloquant entre image et texte. Moyennant aussi un habile montage de textes, esthétique des fragments beaucoup plus efficace que le simple énoncé linéaire du texte. Tout en prenant des distances avec le texte de S. Alexievitch, ce spectacle le sert beaucoup plus fidèlement. On doit saluer le jeu remarquable de ces deux acteurs, qui plient leur corps et leur voix aux nécessités dramatiques du texte. Ils incarnent l’essence même du théâtre, sans avoir besoin de gros budget ni d’une pléthore de personnel théâtral. C’est simple, c’est intelligent, c’est efficace, bref c’est totalement convaincant.
Michèle Bigo