M., entre sainteté et folie

« M. Un amour suprême », conception, texte, m.e.s. Gustavo Giacoso, musique: Fausto Ferraiuolo | Festival d’Avignon, Theâtre des Halles

— Par Michèle Bigot —

Le tandem Gustavo Giacoso-Fausto Giacoso était déjà venu nous enchanter l’an dernier, dans la même chapelle du Théâtre des Halles. Cette fois-ci encore, ce spectacle, quoique humble dans sa dimension scénique, nous transporte instantanément par son lyrisme et la magie de son évocation.

Fidèle à son intérêt pour l’art brut, Gustavo Giacoso nous raconte en sept tableaux l’histoire d’une femme, nommée M.(de son vrai nom Melina Riccio) qui quitte son sud natal pour s’installer à Milan, petite couturière appelée à devenir une célèbre styliste. La voici adulée du public et des media, mariée, installée et mère de famille, quand soudain, écoeurée par la célébrité et la fortune, elle décide de tout quitter, son métier, sa famille (elle a trois enfants) pour partir le long des routes comme une errante, pour prêcher l’amour et dénoncer la société de consommation. Adepte de Saint François, elle devient tour à tour une sainte, une folle, une artiste. Ses installations, réalisées à l’aide d’objets hétéroclites trouvés parmi les déchets dérangent bousculent ou séduisent. Elles sont connues dans toute l’Italie, et tout est fait pour la récupérer. En vain. Sa vocation, sa soif d’amour, d’autres diront sa folie, résistent à toutes les tentatives de récupération.

Gustavo Giacoso et Fausto Ferraiuolo ont recueilli et archivé les traces laissées par M., témoignages, journal intime, correspondance. Peu à peu se fait jour l’image de cette femme aussi étonnante que courageuse, entre délire schizophrénique et créativité artisitique. L’acteur qui la représente incarne cette métamorphose incessante, il vibre avec elle de sa foi en la nature et en l’homme. Il nous transporte loin de la rigueur des normes sociales et nous invite à nous interroger au passage sur la nature de l’art, sur la fragilité du succès, sur la perversité du système capitaliste qui digère et récupère toute chose à son profit.

Ce spectacle, le dernier d’une trilogie autour d’auteurs d’art brut, après Nannetti, le colonel astral et Giovanni! en attendant la bombe, repose sur la force d’interprétation du comédien, autant que sur le choix d’objets, de costume, sur la musique et la lumière. La sobriété des moyens mis en oeuvre donne force à l’évocation. Le lyrisme et la magie sont convoqués sur le plateau. De cette vision se dégage un puissant parfum d’italianité, chanson, costumes, accent, curieux mélange de mysticisme chrétien et d’art païen, un produit inédit, immédiatement reconnaissable, émouvant et convaincant.

Michèle Bigot