Pollution, eau, biodiversité : la France décroche

Pollution, eau, biodiversité : la France en queue de peloton européen pour les investissements environnementaux

— Par Sabrina Solar —

La France est aujourd’hui confrontée à une réalité brutale : malgré ses discours volontaristes sur la transition écologique, elle reste le pays de l’Union européenne présentant le plus fort déficit d’investissements en matière d’environnement. C’est ce que révèle le dernier Examen de la mise en œuvre de la politique environnementale (EIR), publié par la Commission européenne le 7 juillet 2025, qui dresse un tableau sans concession de la situation environnementale dans chaque État membre.

Un déficit structurel de 21,1 milliards d’euros par an

Pour répondre aux objectifs imposés par le droit européen en matière d’environnement – qu’il s’agisse de biodiversité, de qualité de l’air, de traitement de l’eau ou de gestion des déchets –, la France devrait investir 63,8 milliards d’euros par an. Or, selon les calculs de la Commission, les dépenses effectives atteignent seulement 42,7 milliards, soit un déficit de 21,1 milliards d’euros annuels. En valeur absolue, il s’agit du plus important de l’Union européenne, devant l’Allemagne (20 milliards) et l’Espagne (10,75 milliards).

Rapporté au produit intérieur brut, cet écart représente 0,80 % du PIB français, au-dessus de la moyenne européenne (0,77 %). Certains petits États membres doivent fournir un effort proportionnellement plus élevé (comme la Lettonie ou la Lituanie), mais pour un grand pays comme la France, ce déficit illustre un décalage criant entre les ambitions affichées et les moyens réellement mobilisés.

Pollution de l’air : un contentieux persistant

Le domaine le plus critique reste la pollution atmosphérique, pour laquelle le déficit d’investissements atteint à lui seul 8 milliards d’euros par an. Malgré quelques progrès, la qualité de l’air reste insuffisante dans plusieurs grandes agglomérations. En particulier, les concentrations de dioxyde d’azote (NO₂), issues notamment du trafic routier, dépassent toujours les valeurs limites européennes dans les métropoles de Paris et Lyon.

La France a déjà été condamnée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) à ce sujet et d’autres procédures restent en cours. La situation pourrait empirer d’ici 2030, lorsque les normes européennes seront alignées sur les seuils beaucoup plus stricts de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ce qui exposera plusieurs dizaines de villes françaises à des contentieux potentiels si aucune mesure forte n’est prise.

Eau potable et résiduaire : une vulnérabilité chronique

Autre domaine préoccupant : la gestion de l’eau. La France fait l’objet de 14 procédures d’infraction ouvertes dans le domaine environnemental, dont plusieurs concernent l’eau potable, les nitrates agricoles et les eaux usées urbaines.

En février 2025, la Commission a saisi la CJUE pour pollution excessive de l’eau potable par les nitrates. Des dépassements chroniques ont été constatés dans plus de 100 unités de distribution, réparties dans sept régions (Centre-Val de Loire, Bourgogne-Franche-Comté, Grand Est, Hauts-de-France, Île-de-France, Occitanie, Pays de la Loire). Cette pollution est attribuée principalement aux engrais chimiques et effluents agricoles, conséquence directe d’un modèle agricole intensif encore peu remis en cause.

En parallèle, 78 zones urbaines n’ont pas respecté les obligations européennes en matière de traitement des eaux usées résiduaires, affectant directement plus de 6 millions d’habitants.

Biodiversité : ambitions nationales, résultats insuffisants

Malgré la publication en 2023 de la stratégie nationale biodiversité 2030, alignée sur le cadre mondial de Kunming-Montréal, la Commission pointe un écart préoccupant entre les objectifs et les mesures réellement engagées. Le déficit d’investissement dans ce domaine est estimé à 5,5 milliards d’euros par an.

L’artificialisation continue des sols, la fragmentation des habitats et les pratiques agricoles intensives affaiblissent les écosystèmes, tandis que les efforts de reboisement – bien qu’utiles pour lutter contre le changement climatique – ne tiennent pas suffisamment compte de la diversité biologique. La France a pourtant une responsabilité particulière dans la gestion de ses espaces protégés et dans la mise en œuvre du réseau Natura 2000, encore trop lacunaire ou mal géré.

Déchets : une économie circulaire encore incomplète

Si la France affiche de bons résultats en matière de productivité des ressources (3,16 euros par kilo de matière utilisée, contre 2,23 en moyenne dans l’UE), la gestion des déchets municipaux reste défaillante.

Le taux de recyclage s’élève à 41 % en 2022, en-dessous de la moyenne européenne (49 %) et très loin de l’objectif de 55 % en 2025. Les déchets plastiques sont particulièrement mal traités : seulement 23 % sont recyclés, contre un objectif européen d’au moins 50 %. Cette situation coûte cher : la France verse chaque année plus de 1,6 milliard d’euros au titre de la taxe plastique européenne.

Une procédure d’infraction a été ouverte en juillet 2024 pour non-respect des obligations de recyclage des déchets municipaux et d’équipements électriques et électroniques. Malgré l’adoption de la loi anti-gaspillage (2020) et des plans nationaux de prévention des déchets, les avancées restent fragmentées, et la collecte séparée est encore très insuffisante dans de nombreuses communes.

Financement et gouvernance : une planification encore incomplète

Le rapport salue certains progrès en matière de budgétisation verte et de marchés publics écologiques, qui intègrent désormais des critères environnementaux dans plus de 55 % des achats publics (contre 20 % en 2022). Mais cette dynamique reste insuffisante pour combler les lacunes structurelles de gouvernance environnementale.

La suppression progressive des subventions néfastes à l’environnement, pourtant prévue dans les engagements européens, avance lentement. La planification écologique française, lancée en 2022, manque encore de cohérence d’ensemble et de financements concrets, notamment au niveau territorial.


Un avertissement sévère pour une puissance environnementale supposée

Au total, la France concentre à elle seule près de 19 % des procédures d’infraction européennes en matière d’environnement. L’inertie actuelle pourrait lui coûter cher, non seulement sur le plan financier (sanctions, pénalités), mais aussi en termes de perte de crédibilité internationale.

Alors que l’UE fixe des ambitions de plus en plus élevées – neutralité climatique, restauration des écosystèmes, zéro pollution – la France ne pourra pas durablement faire l’économie des investissements nécessaires. La protection de la santé publique, de la nature, et du climat en dépend. Et le temps presse.