CTM : un équilibre budgétaire fragile en 2024 malgré un effort de redressement

La Collectivité Territoriale de Martinique (CTM) a clos l’année 2024 sur un équilibre budgétaire fragile mais réel, après avoir traversé plusieurs exercices marqués par des déficits structurels, des tensions de trésorerie et des retards accumulés dans ses projets d’investissement. Le compte administratif présenté en juin 2025 par Justin Daniel, professeur émérite de science politique et ancien président du CESECEM, dresse un bilan lucide et met en lumière les leviers indispensables pour assurer une trajectoire plus durable.


Un déficit de fonctionnement inédit, en partie compensé

Pour la première fois depuis la fusion Région-Département, la CTM a enregistré un déficit de fonctionnement de 26,2 millions d’euros en 2024. Ce déséquilibre est dû principalement à la hausse continue des dépenses sociales : RSA (près de 150 M€/an), APA et autres aides sociales, qui ne sont pas compensées intégralement par l’État.

Face à ce déficit, la section investissement a dégagé un excédent de 40,9 M€, ramenant le solde global à +26,7 M€ avant prise en compte des restes à réaliser (RAR), puis à un quasi-équilibre (-2,5 M€) après intégration des engagements non soldés.

La CTM a ainsi évité un creusement de son déficit global, mais ce rétablissement reste précaire : aucun excédent significatif n’a pu être dégagé pour renforcer le fonds de roulement ou anticiper d’éventuels chocs futurs.


Capacité d’autofinancement en chute libre

La capacité d’autofinancement brute (CAF) est passée de 90,1 M€ en 2023 à seulement 32,7 M€ en 2024, soit un ratio de 3 % des recettes réelles de fonctionnement — en dessous du seuil d’alerte (8-10 %). La CAF nette, après remboursement des annuités de dette (73 M€ en 2024), ressort négative à -40,3 M€. En clair : la CTM a dû financer la totalité de ses investissements par l’emprunt, ce qui accroît l’endettement.

Le ratio d’endettement approche désormais 100 % des recettes annuelles, et la capacité de désendettement dépasse les 12 ans, réduisant la flexibilité budgétaire à moyen terme.


Investissements maintenus mais sous tension

Malgré les contraintes, la CTM a maintenu un niveau d’investissement élevé : 353,7 M€ ont été réalisés en 2024 (57 % des crédits prévus). Ces investissements ciblent principalement :

  • les infrastructures scolaires (rénovation, sécurisation sismique),

  • les réseaux routiers structurants,

  • les projets de transition énergétique.

Néanmoins, 75 M€ de dépenses engagées restent à réaliser, signe d’un portefeuille de projets encore trop rigide. Après l’impact de la cyberattaque de mai 2023, qui avait paralysé le système financier, la réduction des RAR en 2024 (-32 %) traduit un effort réel de rattrapage. Mais le niveau reste supérieur à celui de 2022, et le stock de projets reportés pèsera sur l’exercice 2025.


Des ressources fiscales fragiles

La dépendance de la CTM à l’octroi de mer est préoccupante. Cette taxe représente 12,7 % des recettes fiscales de la collectivité (environ 92 M€), mais son rendement plafonne (+2,5 % en trois ans, contre une inflation de 8 %), et il reste très sensible aux volumes d’importation et aux arbitrages politiques (exonérations pour lutter contre la vie chère).

Le débat national sur son avenir (éventuel remplacement par une TVA régionale) et la renégociation européenne post-2027 accentuent cette incertitude. Le rapport recommande de diversifier les recettes locales (taxe de séjour, écotaxe croisière) pour réduire cette dépendance.


Poids écrasant des dépenses sociales et masse salariale

Avec près de 80 % de ses dépenses de fonctionnement absorbées par des charges rigides — salaires des 6 000 agents, RSA, aides sociales — la CTM ne dispose que de 10 à 15 % de recettes véritablement arbitrables. Ce manque de flexibilité freine l’innovation publique et limite sa capacité à réagir aux crises.

Les efforts engagés en matière de modernisation administrative (digitalisation, réorganisation interne) ont permis de réduire les délais de paiement (de plusieurs mois à quelques semaines), mais les gains d’efficience structurelle restent à confirmer.


Gestion des fonds européens : amélioration en cours

En 2024, la CTM a évité de perdre des crédits européens en finançant efficacement 32,7 M€ de projets avec ces ressources. Le taux de réalisation des recettes FEDER est en nette amélioration (44,5 %), mais les dépenses restent freinées par la lourdeur des procédures et le manque de capacité d’ingénierie chez les partenaires locaux.

Le risque de sous-consommation d’ici la fin du PO 2021-2027 est réel : les services devront accélérer le traitement des dossiers pour éviter des dégagements d’office de crédits européens.


Les principaux risques identifiés

  1. Tension sur les dépenses sociales : le financement du RSA non compensé par l’État représente une « bombe budgétaire » qui grignote chaque année un peu plus la CAF.

  2. Endettement structurel : sans redressement de la CAF, la dette pourrait continuer de croître dangereusement.

  3. Vulnérabilité aux chocs climatiques et économiques : un ouragan majeur, une nouvelle crise sanitaire ou une récession auraient un impact budgétaire immédiat, sans véritable « matelas » de sécurité.

  4. Risques sociaux et tensions salariales : après les grèves de 2023-2024, de nouvelles revendications pourraient alourdir encore le budget de fonctionnement.


Recommandations pour 2025-2027

Le rapport propose plusieurs pistes d’action :

  • Stabiliser les charges : moratoire sur toute nouvelle dépense hors compétences obligatoires, maîtrise des coûts salariaux.

  • Diversifier les recettes : création d’une taxe de séjour renforcée, écotaxe sur les croisiéristes.

  • Renforcer la CAF : objectif de 60 M€ d’épargne brute d’ici 2027 pour financer les investissements sans recours systématique à l’emprunt.

  • Accélérer la consommation des fonds européens : assistance accrue aux porteurs de projets, simplification des procédures.

  • Moderniser la gestion : tableau de bord financier mensuel, évaluation systématique des politiques publiques, poursuite de la digitalisation.


Conclusion

En 2024, la CTM a montré qu’elle pouvait, dans un contexte contraint, restaurer un équilibre budgétaire global et préserver une dynamique d’investissement. Mais cet équilibre reste fragile : la dépendance aux ressources extérieures, la faible capacité d’autofinancement et les rigidités structurelles du budget limitent fortement les marges de manœuvre.

L’avenir de la collectivité dépendra de sa capacité à sécuriser ses ressources, à optimiser ses dépenses et à renforcer sa gouvernance financière. Les années 2025-2027 seront décisives : elles doivent permettre de passer d’une gestion sous contrainte à une stratégie de développement durable, tournée vers la résilience économique, sociale et écologique du territoire martiniquais

Télécharger l’Analyse complète du Compte Administrif 2024 de la CTM de Justin Daniel