Santé publique : les sargasses, une menace chronique pour les établissements scolaires

Collège Robert 3 : la crise des sargasses met l’école en suspens

— Par Sabrina Solar —

Les sargasses, autrefois perçues comme un fléau saisonnier, sont désormais considérées comme une menace sanitaire structurelle pour la Martinique. Un rapport préliminaire alarmant du Comité Indépendant d’Experts, commandité par l’Agence Régionale de Santé (ARS) et la Collectivité Territoriale de Martinique (CTM), tire la sonnette d’alarme : la santé des élèves, enseignants et habitants des zones littorales est en péril.

Au cœur de ce constat : la situation critique du collège Robert 3, situé à Pontaléry, dans la commune du Robert. Fermé depuis le 10 avril 2025 à la suite d’un nouvel échouement massif d’algues brunes, l’établissement symbolise l’impasse dans laquelle se trouve la gestion de cette crise sanitaire. Une pétition de la communauté scolaire et le droit de retrait exercé par les enseignants ont précipité la décision de fermeture.

Un danger invisible mais bien réel

Les sargasses, en se décomposant dans les 48 heures après leur échouement, dégagent des gaz hautement toxiques, principalement du sulfure d’hydrogène (H₂S) et de l’ammoniac (NH₃). Ces substances provoquent des troubles variés : maux de tête, vertiges, troubles respiratoires, troubles cognitifs et, dans les cas les plus graves, pertes de conscience. Les enfants, les personnes âgées et les malades chroniques sont les plus exposés.

Depuis 2015, le collège Robert 3 est régulièrement affecté par ces nuisances. Mais le phénomène s’est intensifié ces dernières années, les capteurs enregistrant des niveaux de H₂S largement au-dessus des seuils d’alerte recommandés par le Haut Conseil de la Santé Publique.

Un toxidrome désormais reconnu

Le rapport d’experts confirme l’existence d’un « toxidrome sargasses », décrit pour la première fois en 2018 par le CHU de Martinique. À ce jour, plus de 700 cas cliniques ont été recensés. Le comité recommande d’intégrer ce toxidrome dans les protocoles de hiérarchisation des risques, afin d’améliorer l’identification, le traitement et la prévention des cas.

L’un des axes clés du plan d’action proposé par le comité est la création d’une cellule opérationnelle de santé publique dédiée, ainsi que la mise en place de consultations médicales régulières – fixes et mobiles – dans les zones scolaires les plus exposées.

Des recommandations fortes pour protéger les élèves

Le comité d’experts, sous la coordination du Pr Dabor Résière, préconise des mesures immédiates et drastiques pour assurer la sécurité sanitaire des communautés scolaires :

  • Maintien de la fermeture du collège Robert 3 tant que les niveaux de pollution restent critiques ;
  • Suivi médical renforcé des élèves et enseignants exposés ;
  • Orientation facilitée vers la médecine du travail ;
  • Soutien psychologique dans les établissements touchés ;
  • Information renforcée des familles sur les symptômes et les gestes de prévention.

En parallèle, une relocalisation des établissements les plus à risque est envisagée, en application stricte du principe de précaution.

Un plan “Sargasses-Santé” pour toute la Martinique

Au-delà du cas du Robert, le Comité propose un véritable plan d’action global baptisé “Sargasses-Santé”, structuré en deux phases :

  1. Actions immédiates : Collecte quotidienne des algues, mise en place d’un centre de crise opérationnel actif 7 jours sur 7, et extension de la surveillance médicale aux zones à risque.
  2. Coordination à long terme : Lancement d’études épidémiologiques, renforcement des réseaux de capteurs environnementaux, et collaboration renforcée entre les acteurs locaux (ARS, CTM, rectorat, GIP Sargasses, CHU, Madininair…).

Le rapport critique ouvertement les insuffisances actuelles : capteurs défectueux, coordination limitée, et inadéquation entre les recommandations nationales et les réalités locales.

La Martinique en quête d’un modèle de santé environnementale

Avec cette crise, les autorités souhaitent faire de la Martinique un territoire pilote en matière de santé environnementale, en adoptant une approche “One Health” intégrée, reliant santé humaine, animale et écologique.

Le rapport final du Comité est attendu dans deux mois. Il intégrera de nouveaux témoignages et données scientifiques, notamment sur les effets chroniques de l’exposition au H₂S et au NH₃, encore trop peu documentés.

La gestion des sargasses n’est plus une question d’entretien du littoral, mais un enjeu majeur de santé publique. Il est urgent de passer d’une réponse ponctuelle à une stratégie globale, pérenne et résolument préventive.

Télécharger le rapport :