« La nuit caribéenne » mise en scène par Ewlyne Guillaume, ou l’art du ratage !

Comment passer à coté d’un texte!

— Par Roland Sabra —

Tout commence par un poncif. À l’entrée du spectateur ils sont déjà sur scène, Frantz l’aîné sur un bidon et Georges, le cadet, sur une poubelle, face à la salle, de part et d’autre d’un vague échafaudage. Visibles, mais pas pour autant présents. Stanislavski parlait des acteurs qui sont sur scène mais qu’on ne voit pas. La pièce, écrite par Alfred Alexandre, se construit autour du thème de la trahison. Ils sont frères et se sont engagés dans le service d’ordre d’un leader politique, en espérant, la victoire acquise, intégrer les forces de l’ordre institutionnelles, ou obtenir une quelconque reconnaissance. Le leader a trahi, il est passé du coté de l’ennemi. Les deux frères sont des laissés pour compte des promesses d’intégration sociale inaccomplie. Cette trahison politique redouble une autre, familiale celle-là. Frantz est un salop. Il a violé une femme, l’a tué, mis le feu à sa masure pour faire disparaître le corps, et fait endosser l’incendie par son petit frère, en lui confiant au moment de la découverte du crime une boite d’allumette. L’enfant trop jeune n’ira pas en prison. Et lui non plus. Of course. Tout l’intérêt de la pièce se situe dans ce jeu de miroir, d’échanges, de dialogue presque entre ces deux registres de trahison. Laquelle est le reflet de l’autre ? Comment s’articulent-elles ?

Dès les premiers échanges, le spectateur comprend qu’Ewline Guillaume est passée à coté du sujet. Elle demande à ses deux comédiens d’incarner des poivrots, qui peinent à parler clairement. La metteure en scène insiste pour que la diction de soûlard de Georges soit à peine compréhensible et dès lors si les propos et les actes exposés sur scène ne sont que ceux de deux pochards en quoi le spectateur peut-il se sentir concerné ? Elle leur demande de se vautrer dans le surjeu de bout en bout et, bonne pâte, ils obéissent. Pouvaient-ils faire autrement ? Que sont allés faire Serge Abatucci et Philippe Calodat dans cette galère? On a de la peine pour eux. Vraiment.

Toute la thématique du déclassement social, de la perte des repères, de l’effondrement des registres symboliques, de la désaffiliation passent à la trappe. En quoi les désillusions politiques sont-elles le terreau, ou le contexte d’un tel effondrement ? La crapulerie infâme de Frantz ne relève-elle que du plan individuel ? On n’en saura rien. Tout le questionnement qu’Arielle Bloesch avait tenté d’aborder en 2010 avec Aliou Cissé et Rudi Sylaire est escamoté.

Un spectacle à oublier au plus vite!

Fort-de-France le 12/11/22

R.S.