L’éphéméride du 27 juillet

Première journée des « Trois Glorieuses » le 27 juillet 1830

Les Trois Glorieuses, une révolution confisquée par Gabriel Pornet
Les combats des 27, 28 et 29 juillet 1830 chassent du pouvoir le roi Charles X. Malgré l’action décisive du Paris populaire, l’événement est récupéré par la bourgeoisie, qui installe sur le trône Louis-Philippe.

«Paris ne bougera pas !» Dimanche 25 juillet 1830, le préfet Mangin balaie les inquiétudes de quelques ministres. La capitale étouffe sous la chaleur, des habitants flânent dans les jardins et beaucoup de députés sont en province. Ce matin-là pourtant, parmi des proches de Charles X réunis au château de Saint-Cloud, la tension est palpable (1). Le monarque de 72 ans semble hésiter un instant, le front posé dans ses mains et le regard perdu. «Plus j’y réfléchis, plus je suis convaincu qu’il est impossible de faire autrement.» Il se décide enfin, signe les ordonnances préparées depuis des semaines dans le plus grand secret : dissolution de la Chambre tout juste élue avec une majorité libérale, réduction du nombre d’électeurs, suspension de la liberté de la presse… «Messieurs, c’est désormais entre nous à la vie à la mort !»

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Aux yeux de ce roi extrémiste, qui n’a pas digéré le séisme de 1789 et l’exécution de son frère Louis XVI, cette décision est indispensable à la survie de la monarchie. Le régime de la Restauration tient pourtant depuis 1815 grâce à la Charte, un texte bridant les prétentions absolutistes des Bourbons et faisant de la France un pays non pas démocratique, mais du moins constitutionnel. Charles X, sur le trône depuis la mort de Louis XVIII six ans plus tôt, n’a jamais compris les transformations profondes de la société et s’apprête à le payer très cher. Paris bougera.

Typographes

Lundi matin, pas de hashtag sur Twitter, l’information est lente et se passe de main en main, de bouche à oreille. Publiées dans le Moniteur, les ordonnances mettent de longues heures à se répandre à travers la capitale. Au Palais-Royal, la jeunesse bourgeoise monte sur des chaises, déclame le texte aux passants. Des petits groupes se forment. Dans la soirée, des troubles éclatent et la gendarmerie fait évacuer le jardin. La voiture du président du Conseil, Polignac, est caillassée, et puis… rien. La nuit est calme, le pouvoir reprend son souffle, veut encore croire à un feu de paille.

Mardi 27 juillet, la ville gronde aux premières heures du jour. Cette fois, la présence du Paris populaire est décisive. Les typographes, «élite» ouvrière directement touchée par la censure, se mobilisent en masse et entraînent d’autres corps de métier. Ils sont rejoints par des employés, des étudiants… Les presses du National et du Temps, qui ont osé publier une protestation contre le coup d’Etat royal, sont saisies par la police. Pendant que les députés libéraux enchaînent les réunions, hésitent sur la manière de s’opposer aux ordonnances et tremblent à l’idée de sortir de la légalité, la rue prend les devants. Les pierres volent en direction des gendarmes. Exaspérés par les insultes et les projectiles, des soldats ouvrent le feu sur la foule, des barricades sont érigées rue Saint-Honoré, la révolte s’étend.

Mercredi matin, le maréchal Marmont, chargé de rétablir l’ordre, écrit à Charles X : «Sire, ce n’est plus une émeute, c’est une révolution.» L’état de siège est déclaré. Dans les rues, les ouvriers se battent aux côtés des bourgeois, les uniformes de la garde nationale (dissoute depuis 1827) sont ressortis des placards. «C’est un événement impliquant des populations sociales diverses, explique à Libération l’historienne Sylvie Aprile (2). Le républicanisme est présent, mais aussi un bonapartisme un peu mythifié, s’appuyant sur une base populaire.» Depuis leurs fenêtres, des habitants jettent tout ce qui leur tombe sous la main : meubles, briques, tuiles, bouteilles… Les soldats, à bout de force, n’étaient pas préparés à un tel soulèvement. Les insurgés forcent l’entrée de l’hôtel de ville, arrachent le drapeau blanc de la monarchie et hissent les trois couleurs. Pas assez haut, pas assez visible. Un groupe s’engouffre dans les tours de Notre-Dame : la bannière bleu-blanc-rouge domine le ciel de Paris. La force du symbole est immense, l’exaltation à son comble… pour un temps seulement.

Stratège

Après une nouvelle journée de combats qui voit notamment la prise du Louvre et des Tuileries, les bourgeois confisquent la victoire. Sur le modèle britannique, l’idée est de substituer un monarque à un autre. Ils jettent leur dévolu sur le duc Louis-Philippe d’Orléans, membre de la branche cadette des Bourbons. Après de fausses hésitations, ce dernier accepte de prendre la lieutenance générale du royaume, fort d’une déclaration signée le 31 juillet par 89 députés. Fin stratège, le duc se rend devant la commission municipale provisoire, à l’hôtel de ville, où les opinions sont plus radicales, et convainc l’emblématique La Fayette de se rallier à lui. Les deux hommes se présentent au balcon, enveloppés d’un drapeau tricolore. Cet épisode cloue le cercueil de la révolution.

Le 2 août, Charles X abdique en vain pour son petit-fils, le duc de Bordeaux, puis file en Angleterre. Louis-Philippe ne sera pas roi de France, mais «roi des Français». «Il y a toujours cette idée que le peuple n’est pas mûr pour prendre le pouvoir, explique Sylvie Aprile. Si l’aspect libéral du régime suscite un espoir de réformes, on se rend vite compte qu’elles sont très limitées. Les barricades reviennent régulièrement durant toutes les années 1830. La situation n’est absolument pas stabilisée.» Les classes populaires ne sont pas dupes. Le mouvement ouvrier se structure. Émeutes et conspirations rythmeront la vie du nouveau monde jusqu’à son effondrement en 1848 et l’établissement du suffrage universel masculin. La République bourgeoise, elle aussi, saura vite éteindre sous une pluie de balles les rêves d’une véritable transformation démocratique et sociale.

(1) Lire Histoire des deux Restaurations d’A. de Vaulabelle (Perrotin, 5e éd., 1860, disponible sur Gallica.fr) et la Révolution de 1830 en France de D.H. Pinkney (PUF, 1988). (2) La Liberté guidant les peuples sous la direction de S. Aprile, J.-C. Caron et E. Fureix (Champ Vallon, 2013).

Gabriel Pornet

Source : Liberation.fr