Lettre ouverte aux martiniquais

— par Josiane Cueff —

Mon projet culturel basé sur la diffusion, la création,  les échanges artistiques, la formation et l’éducation artistique, a permis ma nomination à Fort de France, début 2011 pour diriger le Cmac, scène nationale de Martinique.  Ce haut lieu culturel doit évoluer en tenant compte des enjeux fondamentaux impliqués dans la stratégie de développement culturel, social, économique et régional. J’ai travaillé sans compter, avec passion, pour offrir un programme organisé pour tous,  ouvert à l’émotion, à la beauté, à la réflexion, à la découverte,  à l’interrogation, enfin ouvert à la stimulation de ce que l’être humain a de plus riche, l’éveil des sens, de l’esprit, la pensée, les idéaux, l’évolution au sens noble.
Dès ma prise de fonction,  de très nombreuses difficultés se sont présentées, aussi bien pour programmer dans  les salles de spectacles, que pour mettre en place mon projet, ainsi que pour assumer mes responsabilités légitimes de directrice.  Toutefois, motivée par mon engagement professionnel, je me suis attachée à rester juste, à remplir ma mission, à convaincre des partenaires culturels, à trouver le meilleur pour le Cmac, pour les artistes martiniquais, pour la diversité des publics, pour les programmes pédagogiques des scolaires, pour l’éveil des enfants. Ce qui a été rendu possible grâce à des soutiens de certains martiniquais remarquables et d’autant plus courageux que l’irrationnel autour de la scène nationale régnait.

J’ai rencontré  des gens merveilleux, à qui j’exprime toute ma gratitude pour leur soutien éclairé, des martiniquais fiers et maîtres de leur pensée, qui savent rester libres au delà de l’esprit communautaire qui peut enfermer les uns et les autres dans des modes de fonctionnement aliénant.  La culture doit favoriser le libre arbitre, l’une des qualités supérieures de l’homme. Le libre arbitre, celui que chacun doit cultiver pour sa propre liberté, celle que nous devons transmettre à nos enfants pour œuvrer vers l’épanouissement individuel, celui qui permet de servir l’avenir de son pays, avec les mêmes droits et devoirs pour tous avec dignité, quelles que soient les différences.
Je  suis devenue la « très controversée directrice »,  faisant malgré moi l’actualité culturelle, pourtant professionnellement, rien ne peut m’être reproché. Alors, on attaque par de l’insaisissable, on joue sur la corde sensible de l’opinion publique. Le drapeau est brandi pour sensibiliser par des arguments politiques,  qui ne peuvent en aucun cas s’appliquer à ces missions culturelles ouvertes à la diversité ;  les différences justifiées comme des menaces, deviennent l’argument d’un rejet en bloc, sans discernement.

Les médias ont joué un grand rôle dans ce contexte, avant même que je ne sois informée des problèmes ; ils se faisaient l’écho d’inquiétude de la part du personnel qui débrayait, en  « oubliant » l’information et la concertation. En juin dernier, la tempête médiatique était à son comble, violente, véhiculée par un petit groupe d’artistes, « on veut  la tête de la directrice » !!!  Le rôle d’un président de la structure aurait dû être d’intervenir, d’essayer de comprendre, de défendre l’institution qui était mise au cœur de la tourmente. Alors, devant l’état de la situation, j’ai eu la triste réponse à cet acharnement stupéfiant. Certains artistes et citoyens,  écœurés par ces procédés manigancés hélas par certains responsables, m’ont témoigné leur honte face à  ces méthodes inquiétantes.  Servie par une pétition contre la politique culturelle de la DAC (direction des affaires culturelles), contre la direction du  Cmac, tous les moyens étaient bons pour tenter de convaincre l’opinion publique.  Tout était prêt pour récupérer le Cmac sans direction ! sans tenir compte des missions culturelles engagées, ni du cahier des charges, ni de certains engagements vis-à-vis de la collectivité ; le Cmac est avant tout au service de l’intérêt général. La brutalité a été choisie : arrêt de mon contrat de travail contre l’avis du Conseil d’Administration, mensonges, tentatives d’humiliation, changement de serrure du bureau de direction …  alors même que je finalisais la programmation avec l’appui de partenaires financiers pour la saison 2012 / 2013 !   D’emblée, tout le travail que l’on  aurait pu commencer à évaluer à partir de retombées économiques conséquentes, s’est anéanti.  Pourtant, une transition réfléchie aurait pu être faite de façon respectable, digne et sans préjudice pour le Cmac, pour la Martinique. Le label scène nationale est suspendu.
Pendant longtemps,  je serai considérée comme « coupable » des maux passés, présents et à venir concernant le Cmac, ce qu’au préalable, je refuse catégoriquement. Aujourd’hui, je ne veux pas rentrer dans ces stratégies destructrices de divulguer les preuves et témoignages de ces méthodes inacceptables mises en place, il est urgent de lutter contre l’enfermement, de se préoccuper du présent et de l’avenir, pour la Martinique, pour préserver la culture, et la faire évoluer dans notre monde ouvert à la mondialisation. Il est fondamental aujourd’hui, de connaître la culture des autres, pour l’envisager dans la richesse des échanges et du respect des différences, cette culture qui permet de s’affranchir, sans renier son histoire, ses traditions, la culture qui rend plus libre et qui permet le « vivre ensemble ».

Le bilan du Cmac, sous ma direction, est considéré par de nombreux spectateurs, artistes, partenaires institutionnels, établissements scolaires comme positif, à plus d’un titre. Plusieurs jeunes ont su profiter de ces programmes et suite à la biennale de danse, la phrase de l’un d’eux tard dans la nuit : « merci, Madame, jamais on n’avait fait quelque chose pour nous » restera gravée dans ma mémoire. Je suis fière d’avoir offert à mon  humble niveau, en collaboration avec l’équipe, un programme culturel, de  qualité, ambitieux, respectueux et ouvert à la diversité où la culture martiniquaise a toujours eu sa place.

La culture est un acte de résistance, je n’avais jamais touché cette réalité d’aussi près.  Aujourd’hui, enrichie d’une nouvelle expérience ô combien révélatrice d’une société en crise, ma passion pour le développement culturel reste intacte.  Les nombreux signataires de la pétition « un clic pour le Cmac » apportent la preuve que des martiniquais savent résister à la manipulation et en toute liberté, ils revendiquent cette culture tournée vers les autres et vers l’avenir.

Josiane Cueff, le 10/11/2012

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