2023, oser notre dernière chance ?

-Par Guy Lordinot

Un peuple occupait la Martinique lorsque des aventuriers venus d’Europe, l’ont exterminé et pris possession de l’île.

Afin de l’exploiter, ils ont fait venir des Africains mis en esclavage, ensuite des travailleurs engagés, et enfin d’autres ouvriers. Ainsi s’est constituée une population composée d’hommes et de femmes sans passé commun jusque-là. Cette population ne constituait donc pas un peuple.

Au fil du temps, une identité martiniquaise s’est construite mais elle n’a jamais pu se constituer en peuple à cause notamment de son statut de colonie de la France.

La Martinique, colonie française, sa population allait-elle un jour devenir un peuple ?

Beaucoup l’ont espéré lorsque du statut de colonie, elle avait fait le choix d’un statut de département. Ce choix était-il une erreur ?… Il s’expliquait par le fait que l’État promettait aux populations concernées qu’elles deviendraient des Français à part entière. A l’époque, il paraissait inconcevable que la « généreuse mère patrie » n’honore pas sa promesse.

Pourtant, à l’occasion des discussions relatives à la loi de départementalisation, le ministre des Finances de l’époque, André PHILIP, exprimait déjà clairement des réserves sur l’aspect budgétaire.

Sa position ne laisse la place à aucun doute quant à son refus de faire supporter à la France le poids financier de l’assimilation : « Il est indispensable de ne pas faire une obligation au gouvernement d’appliquer aux quatre territoires intéressés la législation française, en raison du surcoût des dépenses pour le budget métropolitain ».

Dès lors, le changement s’est fait attendre. Il a fallu mener des luttes violentes pour l’obtention de meilleures conditions de vie, ces dernières demeurant identiques à celles de l’époque coloniale. La Sécurité Sociale fut la principale et la plus belle conquête.

Faits contre mots

En 1946, la colonie Martinique devenait département, mais le seul changement évident était le remplacement du gouverneur par un préfet. Le palais du gouverneur devint le palais du préfet et comme auparavant, c’étaient des hauts fonctionnaires blancs qui entouraient le préfet.

Ne s’agit-il pas là, d’un régime proche de l’apartheid comme naguère en Afrique du Sud ? Curieuse situation que celle de la Guadeloupe et de la Martinique ! Alors que les pays environnants sont dirigés par des autochtones, ce sont des Européens qui dirigent ces deux îles de la Caraïbe !

L’administration réelle est en effet assurée par de hauts fonctionnaires nommés par le gouvernement, tandis que les représentants élus au suffrage universel par la population font de la figuration. Figuration conforme à la tradition coloniale mais aussi, et en même temps, par la posture politique qu’ils adoptent.

En 1946, pour avoir cru en la parole de la France, nous avons perdu une première occasion d’échapper à cet apartheid, et de devenir un peuple martiniquais ou guadeloupéen.

Voilà qu’en 1988, une nouvelle occasion se présente.

François MITTERRAND, Président de la République, postule pour un second mandat. Lors de sa campagne électorale, de passage à Fort de France, il fait publiquement état de son amitié avec Aimé CESAIRE qu’il traite en frère.

Cette considération est susceptible de permettre à ce dernier d’obtenir une évolution des institutions de la Martinique et un changement des pratiques coloniales qui se perpétuent. Le modèle qu’il souhaitait pour la Martinique était l’autonomie pratiquée en Italie. Tout en conservant ses mandats de maire de Fort de France et de député, Aimé CESAIRE passe le relais aux dirigeants de son parti afin de se consacrer prioritairement à son activité littéraire.

Afin d’aboutir au résultat escompté, il convenait évidemment d’abandonner le moratoire décrété en 1981, au moment de la première élection du Président, et de prendre acte que le premier septennat n’avait pas réglé les problèmes de fond.

À l’issue des élections législatives, consécutives à la réélection de François MITTERRAND, la Martinique envoie à l’Assemblée nationale, quatre députés de gauche. Les conditions d’un changement radical paraissent donc réunies.

De passage à Fort de France, le ministre des Départements et territoires d’Outremer, Louis Le PENSEC, déclare aux élus réunis à la Préfecture que le gouvernement est prêt à étudier favorablement toute évolution des institutions. Il n’exclut pas des évolutions spécifiques pour chacun des territoires. Nous attendons vos propositions, précise-t-il.

Trahison

Hélas ! de propositions il n’y en aura pas…

Au cours d’un échange informel sur cette offre du gouvernement, Claude LISE déclare même : « tout le monde sait que je suis pour l’autonomie mais il me faut au préalable la garantie que la gauche gagnerait les élections » ! Sachant que nul ne pourrait fournir cette garantie, on ne peut tirer qu’une seule conclusion : le PPM refuse tout changement des institutions. De fait, chacun aura pu constater que le PPM, devenu conservateur et clientéliste, n’effectuera aucune démarche en vue d’une évolution institutionnelle. Ce qui constitue à l’évidence une trahison de la volonté césairienne.

En 1990, souhaitant plaider pour la création d’une Assemblée Unique, se substituant au Conseil Général et au Conseil Régional, je demande au groupe socialiste un temps de parole afin d’intervenir dans ce sens à l’Assemblée nationale. Le débat sur le projet de regroupement des élections cantonales et régionales offre une excellente opportunité à cet effet.

Surprise : sur intervention du ministre Louis Le PENSEC, le groupe socialiste rejette ma demande de temps de parole au motif que les socialistes martiniquais alliés soumis du PPM, sont opposés au changement que je réclame !

Voici donc une deuxième occasion perdue.

Couleur Caraïbe

En 2023, une troisième occasion s’offre à nous dans le contexte très particulier que connaît une France agitée et contestataire vis-à-vis du pouvoir.

Au moment de l’élection présidentielle les électeurs martiniquais ont voté d’une façon totalement inattendue. Rejetant massivement le Président sortant Emmanuel MACRON, désavouant sans complexe les consignes de vote données par nos élus, ils ont choisi de voter majoritairement pour madame Marie Le PEN, candidate du Rassemblement National !

Ce choix, résonnant comme un coup de tonnerre, a désorienté la plupart de nos élus. En France, le Président n’a plus de majorité pour gouverner à sa guise. La politique qu’il conduit ne fait que renforcer et durcir le mécontentement à son égard. Dans ce contexte est-il illusoire de penser que le gouvernement peut prendre une mesure d’apaisement pour les populations des anciens départements d’outre-mer ?

Cette mesure consisterait à remplacer dorénavant les hauts fonctionnaires affectés aux Antilles par des Antillais.

Les populations concernées accepteraient mieux un pouvoir exercé par leurs originaires.

En outre, ce geste nous rapprocherait de nos voisins qui accepteraient plus volontiers une parole de la France portée par des représentants caribéens.

Une telle réforme bien que ne relevant pas du domaine de l’Assemblée nationale, a de fortes chances d’aboutir grâce à l’appoint des députés du Rassemblement National. Certes, elle bousculerait violemment les convictions de ce parti qui aurait à effectuer un choix douloureux. Il devrait en effet choisir entre une mesure susceptible de récompenser, fidéliser et renforcer ses électeurs dans l’Outremer mais dans le même temps effectuer un recul sur ses principes fondamentaux, le racisme notamment.

Autre avantage de cette réforme, elle redonnerait du crédit à nos élus. Ne pas tenter cette opération particulièrement audacieuse, c’est continuer à pousser les électeurs à confirmer et amplifier le choix Le PEN pour la prochaine élection présidentielle.

Qui peut endosser une telle responsabilité ?

Qui tentera de saisir cette troisième et sans doute dernière chance de permettre qu’un jour le peuple martiniquais existe réellement ?

Guy LORDINOT

20/07/2023