T.S.A. : oui, mais à quel taux pour les DROM ?

Les cinémas des DROM ont des charges spécifiques qui ne leur permettent pas de supporter les mêmes taux de TSA que la métropole.

— Par Alexandra Élizé —

Le syndicat SECOM (Syndicat des Exploitants de Cinéma Outre Mer) regroupe les exploitants de cinémas de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Réunion. Il s’est constitué car une taxe appelée TSA (Taxe Spéciale Additionnelle) s’impose dans les DROM depuis 2016 avec une progressivité sur 7 ans, au terme desquels il y aura un alignement total sur le taux métropole soit en 2022. Cette taxe représente en métropole 10,72% du chiffre d’affaire. Depuis la mise en place de la TSA en 1948, les DROM ont toujours été exclus notamment car cette taxe semblait trop importante au regard des coûts d’investissements (quand un cinéma coûte 10 millions € en France métropolitaine, il coûte 15 millions € aux Antilles à cause de l’éloignement et des normes anti-cycloniques et parasismiques exponentielles puisque le bâtiment est constitué de salles de cinéma, par essence, très grandes et donc plus onéreuses à mettre aux normes que des petites pièces) et des charges d’exploitations plus importantes que la métropole et cela à cause, de l’éloignement, du décalage horaire, des surcoûts des micro marchés, du contexte social et environnemental. Selon une étude réalisée par le cabinet VERSO, il existe 1 million d’euros de charges en moins pour un cinéma situé en Europe et comparable à Madiana. La différence? La sécurité qui représente 10% du chiffre d’affaire alors qu’en métropole ce chiffre est quasiment nul. L’abonnement internet qui est 10 fois plus cher qu’en métropole pour un débit 5 fois plus faible, les primes d’assurance, 8 fois plus élevés, sans compter toute l’organisation spécifique mise en place pour compenser l’éloignement et le décalage horaire .

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Alors bien sûr la réponse la plus facile c’est de dire, si on vous impose 10,72% de taxe en plus, il suffit d’augmenter le prix du billet de 10,72%…
Tous les petites exploitations des DROM sont déficitaires (Exemple Le d’Arbaud ou l’Urania) et toutes les grandes ont, les bonnes années, un résultat qui peut atteindre 2 à 3% du chiffre d’affaire. Pensez vous qu’un chef d’entreprise s’abstiendrait depuis 20 ans de faire un résultat de 12 ou 13% s’il suffisait juste d’augmenter le prix du billet? Mathématiquement l’augmentation du prix du billet entraîne une baisse de la fréquentation. Alors évidemment elle est inéluctable avec l’inflation, l’augmentation des charges etc., mais tout modification de prix est à manier avec précaution et il est certain que +10,72% sur le prix du billet n’entraine pas +10,72 en résultat net.
Deux exemples :
– En Guadeloupe un cinéma flambant neuf de 10 salles a ouvert en juin dernier, dôté d’une technologie dernier cri. L’exploitant d’origine portoricaine est le leader caribéen du cinéma avec 20 millions d’entrées annuel. Et bien, il n’a eu d’autres choix que de pratiquer un prix de 10€ compte tenu de son lourd investissement (22 millions d’euros). Résultat, il fait 30 % de fréquentation de moins que Madiana et 10% de moins que ses prévisions. La différence? C’est qu’il avait prévu un ticket à 8€50.
– A la Réunion, en 2017 le ticket a été augmenté de 1€. La fréquentation a diminué de 8% et le chiffre d’affaire n’a augmenté que de 0,13% car tout le monde s’est rabattu sur des cartes d’abonnement.
Le prix du billet dans les DROM n’est pas élastique et sert juste à compenser l’inflation. Il ne peut en aucun cas compenser 10,72% de taxes supplémentaires.

Alors à quoi sert donc la TSA ?
– d’une part elle sert à soutenir l’investissement des cinémas s’ils ont par exemple des travaux de modernisation. Sauf que pour toucher ces aides il faut pouvoir investir. Or cette taxe plonge toutes les exploitations dans le rouge et les exploitants vont arrêter de perfuser toutes celles qui fonctionnent à perte. A aucun moment une aide à l’investissement de 15 à 30% ne peut compenser une charge fixe qui n’est en elle même pas absorbable.
– d’autre part elle sert à alimenter un pot commun destiné à l’aide à la production et à la réalisation. Il y a 30 ans le cinéma était le principal contributeur mais maintenant ce pot commun est surtout alimenté par la télé, la VOD, etc. Dans les grandes lignes deux mécanismes d’aide existent pour la production/réalisation française:
1/ le soutien dit automatique. Un film qui fait un certain nombre d’entrées ouvre droit à des subventions. C’est pour ca que Lucien Jean Baptiste s’est battu pour la TSA, c’est pour toucher ces fonds automatiques que le CNC refusait de donner tant que les cinémas ne payaient pas la TSA peu importe que l’on transmette les chiffres. Lucien Jean Baptiste a toujours eu tous les chiffres de ses entrées mais le CNC ne les comptabilisaient pas tant que nous ne payions pas la taxe.
2/ le soutien dit sélectif c’est à dire fonction du projet sur lequel le CNC avait la même position mais donnait droit à un fond spécifique DROM.

Personne ne peut exclure les charges spécifiques relatives aux DROM. Cela fait cependant 60 ans que toutes les études convergent à dire que la mise en place de la TSA dans les mêmes conditions que dans l’hexagone serait un danger pour les exploitations. Aujourd’hui, le syndicat SECOM a alerté tous les parlementaires des DROM, le ministère de l’Outre Mer, celui de la culture, la FEDOM ainsi que l’Elysée et Matignon afin que les salles de cinéma n’aient pas tous les inconvénients de l’éloignement sans compensation permettant de subsister.

Ce combat du SECOM n’est donc pas contre la TSA ni contre la production et la réalisation mais pour une égalité réelle entre les cinémas des DROM et ceux de l’hexagone qui ne peut que passer par la mise en place d’un taux réduit de TSA que nous demandons d’être de 3% du chiffre d’affaires, ce qui nous demandera déjà de nous réinventer pour nous adapter à ce nouveau modèle économique. Ce changement de taux devra passer devant les parlementaires, c’est donc un combat à l’échelle nationale.

Je vous transmets dans cette lignée un article sorti à la Réunion sur la même thématique ainsi que l’étude approfondie sur la TSA ainsi qu’une note de synthèse avec tous ceux que nous avons rencontré et qui nous soutiennent. Vous trouverez également nos échanges avec le CNC qui permettent de comprendre assez clairement les positions des uns et des autres.

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Pour aller plus loin sur la programmation de Madiana.

Les cinémas des Antilles Guyane se fournissent en film principalement auprès d’un distributeur qui s’appelle FILMDIS c’est vrai.

Les cinémas des Antilles Guyane favorisent les films commerciaux, c’est aussi vrai.

En revanche,

– Filmdis s’apprivisionne en film fonction de la demande. C’est ainsi qu’il existe un autre exploitant de salles de cinema en Guadeloupe dont la programmation est faite par l’entreprise du président de la fédération nationale du cinema français et dans lequel il n’y a pas de différence de programmation entre Madiana et ce cinema? Pourquoi? Parce que le public des Antilles ne vient pas de lui même voir des films « pointus ». C’est la raison pour laquelle, nous avons mis en place un partenariat avec une scene nationale et plus précisément TROPIQUE ATRIUM, Steve Zebina. Un partenariat renforcé précisément cette semaine avec une campagne sur le cinéma d’art et essai toujours en partenariat avec TROPIQUE ATRIUM.
Conclusion, quand on construit un cinema qui coûte 20 à 30 millions d’euros, on a beau avoir le désir de favoriser l’art et essai, quand on se retrouve confronté à la désertion des salles on a tendance à sécuriser la recette pour ne pas sombrer. Imposer de l’art et essai à ceux qui ne le veulent pas, c’est un travail d’éducation qui n’est pas le métier premier d’un exploitant de salle de cinéma, c’est celui d’institutions publiques. Malgré cela nous travaillons sur l’art et essai via TROPIQUE ATRIUM et favorisons l’éclosion de talents via LE FESTIVAL PRIX DE COURT. C’est surement une petite contribution mais elle a le mérite d’exister. Nous verrons ce que donnera notre nouvelle programmation avec au moins un film en VO ou un film sélectionné par Madiana et Tropique Atrium comme Art et Essai, mais pendant longtemps lorsque nous projetions de la VO ou de l’art et essai les salles étaient vides.
Pour information, nous n’avons fait aucun recours contre la CDAC de Willy Rameau alors que son projet est tout proche de notre cinema Madiana car nous soutenons toutes les initiatives visant à valoriser l’art et essai… mais il le verra, un cinema qui ne fait que de l’art et essai est un véritable défi qui pourra difficilement perdurer sans soutien public. Et s’il ne trouve pas de subventions publiques il fera des blockbusters comme nous autres.

En Guyane une salle de cinema est dédiée a l’art et essai. Les propriétaires ne se rémunèrent pas et ils ne payent pas de loyer sur l’exploitation du cinema… voilà comment ils arrivent à l’équilibre.

La TSA n’améliorera en aucun cas la programmation, et bien au contraire, puisque les exploitants sous encore plus sous pression financière et ne peuvent se permettre d’avoir une salle déserte…

ultra-marine.

Si la survie des salles de cinéma nous semble être un enjeu majeur, elle ne peut s’envisager au détriment de la production antillo-guyanaise. Dans tous ses échanges, le syndicat veille et veillera à ce que les producteurs et réalisateurs des DROM ne soient pas impactés par un gel de la TSA en étant moins aidés que ceux de l’hexagone.

Les mesures compensatrices prises pour préserver les salles ne doivent pas conduire à donner moins à la production ultra-marine comme ça a pourtant été le cas pendant des années.

Il convient de préciser que la TSA (Taxe Spéciale Additionnelle) collectée dans l’hexagone et dans les DROM va dans un pot commun national qui est alimenté par d’autres sources que les cinémas comme la VOD ou la télévision. Le cinéma français, et donc domien, ne dépend pas uniquement de la TSA.

Le syndicat SECOM a pour objectif un gel de la taxe qui est déjà passée de 0 à 3% sans que cela n’influence la base de calcul de la contrepartie reversée aux producteurs.

Le cinéma Domien est un enjeu pour tous les Domiens et nous y veillerons.

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