Avignon 2018 : « Quitter la terre » de Joël Maillard

Quitter la terre, Joël Maillard/Sélection suisse en Avignon. Festival d’Avignon off 2018. 11.Gilgamesh Belleville

« Dans un futur plus ou moins proche (ou un passé démesurément lointain) considérant l’incapacité des collectivités humaines à réguler leur impact sur les écosystèmes et la menace d’une imminente saturation écologique et démographique, une solution aussi tortueuse que radicale est imaginée pour sauver la vie humaine à la surface de la Terre »…
Attachez vos ceintures, on va décoller! Et c’est en effet dans un vaisseau spatial d’un nouveau genre que Joël Maillard nous embarque pour un voyage intersidéral sans promesse de retour. Dans la plus pure tradition du roman d’anticipation et du voyage sur la lune depuis Cyrano de Bergerac jusqu’à Jules Vernes, le spectacle nous propose une uchronie ou dystopie sur le mode néo-scientiste farfelu, où la drôlerie ubuesque le dispute au vertige borgesien.
C’est que l’auteur/metteur en scène ne manque pas d’imagination, ni de sens du loufoque. En jouant sur les mots, les prenant au pied de la lettre pour les soulever de terre, il s’empare du terme « nouveau départ  » pour faire décoller la moitié de l’humanité dans une navette en forme de grosse courge ou de cylindre creux, une station orbitale semblable à un gros ananas. Cette moitié d’humanité est destinée à survivre dans le cosmos tandis que la moitié restante se consumera lentement sur terre, privée de toute faculté de reproduction.
Dans sa futurologie délirante, le personnage de Joël est assisté d’une Joëlle, sa complice qui tente de lui faire garder les pieds sur terre, si on peut dire! On a là une forme de Pecha Kucha (format de présentation orale associée à la projection de 20 diapositives se succédant toutes les 20 secondes) qui exige un sens de la narration, beucoup d’humour, mais aussi un grand talent pour l’expression graphique.
Entre actualité dramatique et fiction grotesque, le spectacle est en équilibre instable, nous faisant passer du rire à l’angoisse. Cette bouffonnerie masque à peine l’inquiétude bien réelle de son auteur, mais elle fournit au spectateur une respiration bienheureuse sans lui épargner les questions les plus graves.
La description de la station orbitale est digne de Borgès, avec schémas et dessins d’une minutie époustouflante. L’évocation de ce monde concentrationnaire est aussi l’occasion d’une évocation poétique de la vie terrestre dont les hommes ont la nostalgie. Ce point de vue de Sirius nous invite à redécouvrir les merveilles de la vie quotidienne que nous négligeons toujours au profit de vaines activités.
Au total un spectacle jubilatoire d’une grande originalité, un OVNI théâtral.
Michèle Bigot