Pour une autre politique contre le FN

— Par Viviana Saint-Cyr Psychologue clinicienne, conférencière en France et au Mexique —

Qui peut en ce moment où Dieu peut-être échoue,
Deviner
Si c’est du côté sombre ou joyeux que la roue
Va tourner ?

Victor Hugo, 1870

Le moment électoral que nous vivons actuellement en France exige non seulement d’être attentifs aux campagnes, programmes et idéologies des différents candidats à la présidence mais également de prendre position, et ce au-delà de la conjoncture de l’élection proprement dite.[…]

Notre monde est malade

Choisir le FN, c’est choisir la haine. La gauche communiste aussi bien que la droite néolibérale dénoncent la catastrophe qui s’annonce si le parti lepéniste prenait le pouvoir : Pierre Laurent signale « la brutalité extrêmement dangereuse » et « la logique de guerre » (1) de Marine Le Pen. François Fillon affirme que son « programme politique (…) mettrait le pays à genoux en moins de six mois » (2). Malgré la fragilité du plafond de verre (3), le front républicain n’est pas mort.

Il faut se battre contre l’extrême droite du FHaine, il est nécessaire de lutter contre son programme de guerre civile. Nous ne pouvons qu’être d’accord avec le secrétaire communiste : « Donald Trump, c’est le programme de Marine Le Pen ». Avec l’arrivée de celui-ci au gouvernement des Etats Unis, le temps de l’intolérance, de l’indécence politique, et peut-être même de la guerre (re)commence, l’ère de la détente postmoderne est finie, « it’s the end of the world as we know it » assure Noam Chosmsky (4). Et pourtant ça apparaît comme une folie que l’humanité a déjà connue, celle du fascisme des années 30. C’est le retour du refoulé, comme on dit en psychanalyse. Mais ce qui revient est toutefois aussi semblable que différent. Semblable, car nous y voyons et entendons des traits fascistes : l’idée xénophobe et exclusive du peuple, le complotisme et la victimisation, l’irrationalisme, les tendances racistes, l’accroche identitaire, l’élément affectif, le style hyperbolique, l’absence de toute considération pour la logique. Différent, car des traits aussi vieux sont apparus avec le milliardaire comme quelque chose de nouveau. C’est non seulement l’effet Trump mais l’une des caractéristiques du nouveau fascisme d’après Alain Badiou (5). La composante fasciste apparaît donc anti-establishment. Et pourtant ça n’échappe à personne, même à ceux qui l’ont porté à la présidence du pays le plus puissant de la planète : non seulement Trump est dans le capitalisme, mais il en est un pur produit, une nette fabrication de l’establishment. Le système du capitalisme globalisé ainsi que les politiques socio-démocrates sont le bouillon de culture où germent les nouveaux fascismes.

Cette folie néo-fasciste, lepéniste, est un symptôme de la maladie du capitalisme néolibéral dont pâtit notre monde. C’est la thèse de S. Zizek (6) et d’Alain Badiou (7), entre autres. Dans le sens psychanalytique du terme un symptôme est révélateur d’une certaine vérité : Trump nous dévoile la face monstrueuse de ce que nous sommes devenus dans le système actuel qui nous gouverne (8). Son indécence politique, sa violence langagière, sa xénophobie exacerbée, sa supposée nouvelle idéologie faite d’éléments hautement primitifs nous montre ce qu’est devenu notre monde, ce monde que nous sommes et dans lequel nous vivons. Il faut la combattre, cette monstruosité, mais choisir la face éduquée, civilisée et bien élevée du même système qui a produit à nouveau le vieux monstre, ne l’anéantira pas. En deux mots, nous ne pouvons pas battre le populisme de droite de Marine Le Pen avec la révolution volontariste de Macron. Nous ne pouvons pas battre le nouveau fascisme avec le néolibéralisme qui a donné les conditions pour sa naissance. Les deux font partie du même monde, pas de contradiction, pas d’altérité.
« La parabole des aveugles »

Pourtant les « gens sensés » (comme les qualifie le comédien Philippe Torreton (9), invitent vivement à voter pour l’ex-ministre de l’économie du quinquennat de Hollande dès le premier tour pour faire barrage au choix de la haine. De même, le psychanalyste Jacques Alain Miller considère que le vote par conviction, soit le vote à gauche, est fait d’« illusion lyrique » (10). Il fait sienne la thèse selon laquelle il n’y a pas d’autre choix que la société néolibérale : « les projets politiques » de Mélenchon « d’une révolution citoyenne débouchant sur une sixième république » n’ont qu’une « portée de pur semblant ». Il en conclut qu’« aucune société de démocratie globale, sociale et inclusive, ne verra le jour, ou du moins ne sera durable » (11).

Le néolibéralisme serait le seul choix sérieux et réaliste. Si c’est le cas, il faut aussi admettre deux principes :

– le premier, c’est que dans ce grand marché qu’est devenu le monde la seule existence possible est de vivre en s’enrichissant ; c’est faire le choix de l’argent : la bourse et non pas la vie.

– le deuxième qui découle du premier, c’est que finalement il s’agit de choisir la destruction. Le réchauffement climatique n’est mis en cause que par les climatosceptiques qui composent l’administration Trump. La destruction capitaliste de notre planète est une évidence. Nous détruisons la terre, industrialisons l’agriculture, produisons des transgéniques, consommons des perturbateurs endocriniens, etc.

Choisir le néolibéralisme, c’est choisir la destruction. Nous sommes donc en marche ! oui, dans une marche d’aveugles, comme celle peinte par Brueghel, se guidant les uns les autres vers un trou (La parabole des aveugles (12) ). Le choix sensé, le choix sérieux, le seul choix supposé possible, le vote dit utile serait celui d’un système dont l’efficacité est hors de discussion, certes, mais qui tout en générant de la croissance économique génère également les conditions de sa propre destruction et la nôtre. Victoire donc de la pulsion de mort. Cette pulsion exacerbée par la haine de l’énergumène du FN qu’il faut absolument battre.


L’autre politique

Faut-il aller jusqu’à soutenir, comme le fait S. Zizek, que « le problème, ce n’est pas le fascisme, c’est cette démocratie libérale ? ». Peut-on être « tenté », comme il l’est, de dire que « le danger » se trouve d’avantage du côté de « Fillon » car ce qu’il propose « c’est la politique néolibérale radicale » (13) ? Rien de moins sûr. Le front républicain doit tenir : tout sauf Le Pen ! Les révolutionnaires non abstentionnistes (il y en a), les associations culturelles engagées, ne le savent que trop : les gouvernements d’un Fillon ou d’un Macron se combattent dans la rue, sous le gouvernement d’une Le Pen, ces contre-pouvoirs n’existeraient même pas.

La politique n’est pas que l’affaire des professionnels de la politique, elle est une affaire de tous. Nous faisons de la politique quotidiennement à partir de nos actes, de notre manière d’établir un rapport à nous-mêmes, à l’autre et au monde. C’est cette politique qui est présente dans les institutions sociales et éducatives comme celle où j’exerce en tant que psychologue. Les professionnels y traitent, avec des médiations éducatives inédites la pulsion de mort qui pousse au rejet des autres. Ils accueillent avec une justesse clinique digne de la psychanalyse l’étrangeté de la psychose. Lorsqu’ils parlent avec finesse des jeunes étrangers qu’ils accompagnent relevant leur trait le plus singulier, c’est bien une manière de combattre la haine de l’autre ; de même, lorsqu’ils les accompagnent afin qu’ils obtiennent la nationalité française, c’est bien autre chose que la xénophobie qui gouverne.

Le FN ne nous gouverne pas encore : l’existence des associations culturelles et des compagnies de théâtre est une preuve bien vivante que l’idéologie lepéniste n’est pas aux commandes. Prenons comme exemple la compagnie Tamèrantong ! qui monte des spectacles avec des enfants et des adolescents dans les quartiers dits populaires d’Ile de France. Il faut les écouter ces enfants, les voir travailler, répéter, s’investir, se préparer en coulisses, jouer… pour saisir comment le théâtre dévoile ce qu’ils ont de meilleur pourvu que l’adulte professionnel accueille ce qu’ils ont de pire. Des enfants qui à l’école peuvent déployer l’art de se rendre insupportables, de se montrer incapables d’associer deux mots de manière intelligible car trop agités, trop distraits, trop destructeurs, trop violents, trop trop. Ceux-là même vous surprennent sur scène avec de belles tirades comme celle du « Bon appétit » de Ruy Blas, adaptée pour être dite, jouée et parfaitement bien comprise par les jeunes. Avec élégance, éloquence et brio, incarnant sérieusement son personnage de laquais devenu premier ministre l’enfant-acteur lance : « bon appétit messieurs, dames (« dames » car dans le Ruy Blas joué par la troupe de Belleville, il y a aussi des dames parmi les grands d’Espagne) j’ai honte de votre marmite infâme ». Ici encore la bataille contre les idées du FN se fait dans chaque atelier de théâtre.

Il s’agit d’une bataille faite d’actes quotidiens. Mais dans le cas de Tamèrantong ! elle a eu lieu aussi frontalement : le FN a accusé la compagnie d’être une association subversive et d’utiliser l’argent des contribuables français au profit de la migration. Le principe de la compagnie étant de former des troupes rassemblant, autour d’adultes professionnels, des enfants et des adolescents de toutes origines sociales, culturelles et religieuses. L’association défend l’idée d’une culture vivante, accessible, indépendante, festive et libre de créer. Tamèrantong ! est ainsi l’un de ces lieux dont Marine Le Pen a peur, très peur, pour paraphraser l’écrivaine Fatou Diome dans une belle interview dans « Le Gros Journal » qui circule beaucoup sur les réseaux sociaux (14). Le 23 mars de cette année à BFMTV, la candidate de la haine assure son intention de « couper l’oxygène, notamment les finances, à l’intégralité de ces structures qui pullulent sur notre territoire et qui sous le masque des associations sociales, culturelles, sont des associations prosélytes » (15). Depuis 2002 le FN a tenté à plusieurs reprises et en périodes électorales (exceptée pour celle-ci), d’attaquer l’association qui pourtant est toujours présente dans les quartiers et actuellement en tournée avec la « La Tsigane de Lord Stanley », un spectacle qui parle de la difficulté à rencontrer l’autre et de l’exclusion vis-à-vis des Roms et des migrants.

Mais ce n’est pas à coups d’institutions socio-éducatives et d’associations culturelles que les français vont éviter le pire dimanche prochain.

On accuse le projet de la « France Insoumise » d’irréaliste, pire encore : on aime à comparer son programme à celui du FN (Le Figaro) (16), on crie au feu ! les extrêmes nous menacent (Le Monde) (17), on jouit d’accuser son candidat d’antisémite (La Règle du Jeu) (18). Ceci revient tout simplement à « blanchir une Marine Le Pen qui, même dans ses rêves les plus fous, n’avait jamais espéré pareil cadeau » (Marianne) (19).

Quoi que l’on pense du projet de la « France Insoumise » nous ne pouvons pas nier que son candidat prend au sérieux la possibilité de transformation de la politique. C’est là l’autre vérité qui peut réellement rivaliser, voire battre le nouveau fascisme.

Source: L’Humanité.fr

1. http://www.bfmtv.com/politique/pierre-laurent-appelle-a-un-pacte-de-majo…

2. http://www.lepoint.fr/video/fillon-la-crise-au-fn-va-ouvrir-les-yeux-des…

3.  https://oeilsurlefront.liberation.fr/les-idees/2017/03/26/marine-le-pen-…

4. http://www.alternet.org/election-2016/noam-chomsky-trumps-victory-recall…

5. Cf. la conversation d’Alain Badiou à l’Université de Californie, le 9 novembre 2016: https://blogs.mediapart.fr/segesta3756/blog/281116/alain-badiou-reflecti…

6. https://www.mediapart.fr/journal/international/141216/slavoj-zizek-ne-so…

7. https://blogs.mediapart.fr/segesta3756/blog/281116/alain-badiou-reflecti…

8. Cf. la série de quatre articles de D. Pavón-Cuéllar, philosophe, professeur à l’Université de Michoacán au Mexique, sur Donald Trump : https://davidpavoncuellar.wordpress.com/2017/01/11/trump-el-sintoma/

9. http://tempsreel.nouvelobs.com/presidentielle-2017/20170327.OBS7189/lett…

10. https://www.lacanquotidien.fr/blog/2017/03/lacan-quotidien-n-639/

11. https://www.lacanquotidien.fr/blog/2017/03/lacan-quotidien-n-641-jam-ses…

12. https://www.google.fr/search?q=mus%C3%A9e+capodimonte+de+naples+parabole…

13. https://www.mediapart.fr/journal/international/141216/slavoj-zizek-ne-so…

14. <ahref= »http: www.clique.tv= » » replay-gros-journal-fatou-diome »= » »> http://www.clique.tv/replay-gros-journal-fatou-diome

15. http://rmc.bfmtv.com/mediaplayer/audio/rmc-2303-l-invitee-de-bourdin-201…

16. http://www.lefigaro.fr/economie/le-scan-eco/decryptage/2017/03/13/29002-…

17. http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/04/15/thierry-wolton-les-deux-e…

18. http://laregledujeu.org/2017/04/16/31117/melenchon-les-juifs-et-le-peupl…