Syngué Sabour – Pierre de patience

 Drame réalisé en 2012 par Atiq Rahimi

–SYNOPSIS–
Au pied des montagnes de Kaboul, un héros de guerre gît dans le coma ; sa jeune femme à son chevet prie pour le ramener à la vie. La guerre fratricide déchire la ville ; les combattants sont à leur porte. La femme doit fuir avec ses deux enfants, abandonner son mari et se réfugier à l’autre bout de la ville, dans une maison close tenue par sa tante. De retour auprès de son époux, elle est forcée à l’amour par un jeune combattant. Contre toute attente, elle se révèle, prend conscience de son corps, libère sa parole pour confier à son mari ses souvenirs, ses désirs les plus intimes… Jusqu’à ses secrets inavouables. L’homme gisant devient alors, malgré lui, sa « syngué sabour », sa pierre de patience – cette pierre magique que l’on pose devant soi pour lui souffler tous ses secrets, ses malheurs, ses souffrances… Jusqu’à ce qu’elle éclate !

LA CRITIQUE LORS DE LA SORTIE EN SALLE DU 20/02/2013
 

Cela fait plusieurs jours qu’il est là, sans parler, allongé tout près d’elle. Plongé dans le coma, une balle dans la nuque. Elle, c’est son épouse, elle le veille. Caresse son visage, lui parle. Pour l’encourager à se réveiller. Pour se sentir moins seule, aussi. Elle est perdue, avec ses deux enfants, car dehors les combats font rage. Nous sommes à Kaboul, dans la pièce nue d’une maison, suspendus en quelque sorte entre la vie et la mort. La situation, tragique, ne suscite pas, curieusement, de sensation d’urgence. Au contraire. Dans ce captivant huis clos tiré du prix Goncourt 2008, que son auteur, Atiq Rahimi, adapte lui-même (avec Jean-Claude Carrière pour coscénariste), tout est fait pour favoriser la patience.

Aux effusions du coeur succèdent vite chez l’esseulée d’autres expressions, plus inattendues. D’abord de la colère, face à l’absurdité : c’est à cause d’une bataille fratricide, d’une fierté de mâle offensé que l’homme a essuyé le feu. Cette colère se teinte de ressentiment : la femme raconte qu’ils ne se sont guère vus depuis leur mariage, où l’époux, héros sur le front, n’était même pas présent. « Je me suis mariée avec toi sans toi », dit-elle. La violence des mots enfle, où la femme se surprend elle-même à exprimer ce qui était enfoui en elle ses souffrances, ses frustrations, ses secrets.

Le film trouve sa respiration lorsque la femme trouve refuge chez une tante, prostituée. Et le monde extérieur ­surgit par effraction, par le biais de soldats en arme. Dans ce va-et-vient entre le caché et le visible, le réalisateur parvient à révéler, pour mieux les braver, l’obscurantisme et le machisme tyrannique. Evoquer sans détour, aussi, la sexualité, à travers le désir féminin… La force de ce chant d’amour à la femme tient beaucoup à sa gradation : à mesure que la femme, opprimée, s’émancipe et s’abandonne en même temps, le récit devient de plus en fiévreux, intense et sensuel…

Pour passer du livre à l’écran, pour que s’incarne le monologue si riche de cette femme courageuse, il fallait une comédienne à la fois théâtrale et cinégénique. Golshifteh Farahani, ….

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Jacques Morice