« Monchichi » : la danse comme un art de combat

— Par Selim Lander —

monchichi-danseLa danse contemporaine réserve le meilleur et le pire, jusqu’à la négation de toute danse chez une Teresa de Keersmaeker, par exemple[i]. Gageons que l’unique représentation du duo Wang-Ramirez en Martinique marquera durablement les esprits. C’est en tout cas ce qu’indique cet indicateur en général très fiable de la qualité d’un spectacle qu’est l’applaudimètre. Un argument de plus en faveur de la conception kantienne de la beauté : il n’est nul besoin d’un long apprentissage pour l’apprécier, elle s’impose naturellement à chacun (« sans concept », écrit Kant). Et ceci vaut a contrario pour toutes les productions d’un certain « Art Contemporain » qui laissent de marbre les spectateurs. Ah, ces expositions d’art plastique « où il est de bon ton de se montrer » qui voient défiler devant les « Œuvres » d’artistes bouffis de prétention des cohortes de visiteurs, lesquels ne peuvent dissimuler leur indifférence quand ils n’ont pas l’audace de se montrer sarcastiques ! Laissons donc aux « Initiés » ces « Œuvres » qui ne suscitent chez le plus grand nombre que le mépris et l’ennui, découragent le regard et contredisent donc la définition kantienne et remercions plutôt tous ceux, artistes et programmateurs, qui continuent à penser que l’art et la beauté ont partie liée.

Après ce prologue que certains jugeront sans doute superflu, mais il est bon, de temps en temps, de remettre les pendules à l’heure, venons-en à Honji Wang et à Sébastien Ramirez, une Allemande d’origine coréenne et un Français d’origine espagnole. Ces détails n’auraient pas d’importance si les deux créateurs-interprètes de Monchichi ne s’interrompaient par moments pour jouer avec les mots de leurs langues (allemand, français, coréen, espagnol et même, pourquoi pas ?, un zeste d’anglais). Ces intermèdes qui offrent aux muscles et aux articulations des danseurs un répit indispensable sont sympathiques et drôles.

Il ne serait pas faux de retenir ces deux qualificatifs pour caractériser la tonalité dominante de Monchichi mais ce serait malgré tout indûment réducteur pour un spectacle qui enchaîne trois parties bien distinctes, aisément repérables aux changements de costumes. Au début la danseuse est vêtue d’une simple t-shirt, le danseur est torse nu. Puis elle enfile une petite robe et des souliers à talon haut, le tout agrémenté d’une perruque, tandis qu’il complète sa tenue par une chemise, une veste, des chaussures. Ils termineront en « streetwear », basquets aux pieds. Une tenue différente, donc, pour chacune des parties : la première sous le signe de la guerre, la seconde du glamour, la troisième de la danse dite « urbaine ».

Si la danse selon Wang et Ramirez se rapproche d’un art de combat, ce n’est pas uniquement en raison de la première partie pendant laquelle Honji Wang enchaîne des mouvements directement évocateurs des arts martiaux asiatiques (on entendra le mot « Shaolin » pendant l’un des intermèdes parlés). Même si la prestation des deux danseurs est très éloignée de celle de Candelaria Antelo et Arthur Bernard Bazin, les interprètes de Je te Haime, qui ne cessent de se bousculer, de s’agripper, de se piétiner[ii], on retrouve un même point nodal : une danse qui met d’abord en évidence l’affrontement de deux personnalités. Cela reste vrai dans la deuxième partie de Monchichi où l’on voit plutôt deux gamins en train de s’amuser qu’une scène de séduction.

En plus des qualités propres des danseurs, le succès de ce duo tient à la musique originale, aux lumières et tout particulièrement à la présence sur la scène d’un élément de décor, un arbre dénudé tantôt éclairé tantôt éteint, avec de petits points rouges lumineux, fruits ou fleurs, des cadeaux du danseur pour sa partenaire.

Il est difficile de caractériser la danse elle-même, Wang et Ramirez faisant preuve d’un éclectisme certain, même si on reconnaît les figures de base du beaking et du hip-hop. Ils ont en réalité leur style propre, un style combinant la force et l’élégance qu’ils maîtrisent à la perfection (sauf peut-être dans certains des rares portés). Quand on aura ajouté à cela qu’en plus d’être fort sympathiques, comme on l’a dit, ils sont tous les deux aussi beaux que charmants, on comprendra pourquoi ils suscitent l’enthousiasme du public.

Tropiques-Atrium, Fort-de-France, le 12 novembre 2016.

[i] http://www.madinin-art.net/avignon-jean-paul-delore-anne-teresa-de-keersmaeker-2/

[ii] http://mondesfrancophones.com/espaces/periples-des-arts/je-te-haime-au-pavillon-noir-on-aime/