« Moi, fardeau inhérent », m.e.s. & jeu Daniely Francisque, texte de Guy Régis Jr

25, 26 & 27 février à 19h 30 au T.A.C.

Une femme seule, drapée dans la nuit. Elle attend. Flamme téméraire sous la pluie sauvage. Ses mots grondent, sa révolte déborde. Elle crie sa blessure à jamais ouverte, dénonce son destin avorté. Convoquant le passé, elle exhume le secret enfoui dans son corps flétri, son fardeau. Comment transcender les blessures de la vie ? Ici une femme attend l’heure de la vengeance. Elle attend l’homme, cette charogne. Elle l’attend avec dans sa main, l’orage et le glaive. Pépite du répertoire théâtral caribéen, le texte puissant et poétique de l’auteur haïtien Guy-Régis Junior résonne avec le mouvement mondial de libération de la parole des femmes, dénonçant harcèlement et violences sexuelles. Il vient clore le triptyque théâtral #Duels2Femmes de la compagnie TRACK, initié en 2016.

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Mise en scène & Interprétation : Daniely Francisque
Assistant : Patrice Le Namouric
Direction de jeu & Regard extérieur :Nelson-Rafaell Madel
Musique : Eddie Francisque

Extrait

« Toujours attendre /
Que notre vie soit pesante ou légère /
Attendre /
Accepter /
Pour geindre /
Simplement rester en vie /
Même de se savoir offensé /
Même dans une vie elle-même entichée ou atroce /
Tous attendre /
Accepter /
Héberger en nous ce qui peut advenir /
Possible victime certes possible /
Vaincu d’avance /
Mais attendre »

 

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Guy Régis Jr., né à Port-au-Prince (Haïti) le 29 avril 1974, est un écrivain, comédien, metteur en scène et réalisateur haïtien.

Enfance et formation

Guy Régis Jr. évoque la figure de son père, qu’il n’a vu que cinq fois dans sa vie, dans une pièce au titre explicite, Les cinq fois où j’ai vu mon père, qui fait partie du cycle de lectures organisé par RFI lors du festival d’Avignon 2018 : « Aujourd’hui encore à l’âge où je suis vieux, je ne cesse de le chercher. Depuis la cinquième fois où j’ai vu mon père, il a disparu. Il n’est bien sûr pas encore mort. Il est bien en vie, mon père. Il ne donne toujours pas de nouvelles. Mais tout semble aller. Il a pris sa retraite, vit comme vit un Occidental au repos. »

En 2001, Guy Régis Jr. fonde la compagnie NOUS Théâtre, qui met en scène Service Violence Série en 2005. Dans un entretien avec Anaïs Heluin publié dans Le Point, l’artiste dit s’inspirer d’une part des arts de rue, notamment du carnaval et des groupes raras, « qui déambulent en musique dans les campagnes et dans les rues durant la semaine de Pâques, avec un jeu très marqué du visage », d’autre part « sur les principes de la biomécanique du metteur en scène russe Meyerhold (1874-1940) ».
Séisme de 2010 et conséquences littéraires

Le 12 janvier 2010 a lieu le terrible tremblement de terre qui secoue Haïti : le bilan est de 300 000 morts, 300 000 blessés et 1,2 million de sans-abris. Bien qu’à Ouagadougou, au Burkina Faso, au moment du drame, Guy Régis Jr. en est marqué, écrivant plusieurs œuvres sur le sujet : la pièce de théâtre De toute la terre le grand effarement et un roman, Le Trophée des capitaux.

La pièce de théâtre est commandée par les organisateurs du festival d’Avignon en 2011, dans le cadre des sujets à vifs, au Jardin de la Vierge du lycée Saint-Joseph. Elle raconte l’histoire de deux femmes perchées sur une colline après une grande catastrophe, qui luttent non sans effroi pour vivre, pour survivre : « Elles ne terminent pas de parler. Elles ne terminent pas de se taire. Ne finiront jamais par tout dire. Comme jamais on ne finit jamais par tout dire au théâtre. Ressasser l’humaine condition. Le charme de la désolation. » Sur une composition sonore d’Alain Mahé, et dans une scénographie conçue par Velica Panduru, Ese Brume et Nanténé Traoré interprètent ces deux êtres en perdition imaginés par Guy Régis Jr.

Le roman, paru en 2011, est qualifié par l’auteur de « roman à dire debout » ; il est publié aux éditions Vents d’ailleurs. Dans sa critique pour Le Monde diplomatique, la journaliste et docteur en sociologie Christine Tully-Sitchet évoque une langue « lancinante, concise, lyrique », qui « n’exprime pas que la désolation et la colère », mais aussi « l’attachement » pour la beauté d’une ville, probablement Port-au-Prince.

Dans un entretien avec cette même Christine Tully-Sitchet, publié dans L’Humanité le 20 janvier 2012, soit deux années après le séisme, Guy Régir Jr. revient sur cette expérience : « Nous nous regardons rarement avec des yeux de chiens battus, mais au contraire toujours d’une allure digne. Peut-être en raison d’un ciel, d’une mer, de plantes, d’oiseaux… D’un passé et d’une histoire, très certainement. Est-ce parce que la grandeur de ce qui nous entoure se pavane devant nos yeux, et nous invite à la grandeur, nous aussi ? Comment va Haïti ? Cette question, si souvent posée aux « ambassadeurs forcés » que nous sommes, nous les artistes, même avant cet événement sans nom, il est toujours difficile d’y répondre. En tout cas, je ne sais jamais pour ma part comment. Car un retour sur ces terres me ressource toujours à quelque moment que ce soit. »

Dans nombre d’ouvrages qui suivront, Guy Régis Jr. évoquera plus ou moins directement le séisme, ses conséquences politiques et sociales, l’inertie des gouvernants… Ainsi dans Reconstruction(s), le critique Frédéric Dieu observe que le pays dans lequel se situe l’action, bien que non mentionné explicitement, n’est pas sans rappeler Haïti, avec ses catastrophes naturelles et sa caste politicienne corrompue.

Reconnaissance officielle

Ancien directeur de la section théâtre de l’École nationale des arts de Port-au-Prince (2012-2014), il est depuis janvier 2014 le directeur artistique de l’association Quatre Chemins qui gère le festival de spectacle vivant du même nom, à Port-au-Prince, fondé en 2003 par Daniel Marcelin. Le festival Quatre Chemins était l’invité du festival des Francophonies en Limousin en 2016.

En 2017, Guy Régis Jr. dirige un ouvrage collectif publié chez Gallimard sous le titre Une enfance haïtienne, qui rassemble des contributions de nombreuses personnalités : Bonel Auguste, Syto Cavé, Louis-Philippe Dalembert, Yanick Lahens, Kermonde Lovely Fifi, Kettly Mars, Emmelie Prophète, Évelyne Trouillot et Gary Victor.

La même année, il crée sa nouvelle pièce Reconstruction(s) au centre culturel de Port-au-Prince, dont le texte est publié – comme la majorité de ses pièces – aux éditions des Solitaires Intempestifs. L’auteur met en scène une classique politique préoccupée d’elle-même, alors que le pays a été dévasté par les catastrophes naturelles (rémanence du séisme qui a frappé Haïti et marqué l’écrivain) et que le peuple a besoin de secours. Le critique Frédéric Dieu souligne le caractère explicitement loufoque de cette pièce, comme en témoigne son sous-titre « Bouffonnerie interactive » : « Le ton de la pièce est volontiers léger et loufoque, le genre comique et la mise en scène ponctuée de participations du public […]. Le lecteur-spectateur se coule d’abord aisément dans tant de légèreté, dans cette ironie presque tendre pour un président de la République qui, depuis qu’il a été élu (cela fait quand même trois ans), passe le plus clair de son temps à lire, dans le but de « se reconstruire ». » Toutefois, derrière « l’humour noir ravageur », c’est bien à une double condamnation radicale que parvient l’auteur : l’inertie des gouvernants d’une part, le détournement de l’argent public à des fins privées d’autre part.

Autres réalisations

Dans son entretien, déjà cité, avec Christine Tully-Sitchet, Guy Régis Jr. confie sa vision du théâtre : « Je crois dur comme fer que le théâtre peut aider à tout changer dans une cité. Qu’il peut être un guide, puisqu’il prêche toujours l’humanité. Je crois qu’il pourrait amener à rendre perfectibles les êtres humains. C’est peut-être une des rares choses dans laquelle je crois. Je crois aussi à la futilité de cet art, de tout art. Ce qui le rend noble à mes yeux. Et tout aussi indispensable. »

Cette écriture se déploie davantage dans l’Hexagone que dans son île natale, selon les mots rapportés par Gilles Costaz : « J’écris plutôt en France car, à Haïti, il est interdit d’être solitaire ».

Ses textes, qui rassemblent de la poésie, de la prose et en grande partie du théâtre, sont traduits en plusieurs langues. Guy Régis Jr. est par ailleurs un traducteur en langue créole d’Albert Camus, de Maurice Maeterlinck, Marcel Proust et Bernard-Marie Koltès.

Guy Régis Jr. réalise également quelques courts-métrages : Pays sauve qui peut (2001), Black out (2001), Epi (2010), Monsieur Le Président (2011).

Source : Wikipedia