Lycée Schoelcher : une solution existe!

— Interview de Roland Sabra par Camille Chauvet —

Camille Chauvet : Roland Sabra tu as beaucoup écrit sur la reconstruction du Lycée Schoelcher pourquoi?

Roland Sabra : Comme tu le sais je m’intéresse un peu aux arts de la scène et plus particulièrement au théâtre et comme tu le sais encore mieux le Lycée Schoelcher est le seul Lycée de Martinique qui offre aux élèves une option théâtre dite « lourde » la L3 dans le jargon educnat. Par ailleurs je crois que la culture est le premier vecteur d’une possible indépendance. Pouvoir affirmer des valeurs, des normes qui échappent au cycle infernal de la dépendance et de la contre-dépendance est le socle sur lequel se bâtit le reste. Les caciques marxiens ne seront pas d’accord mais c’est leur affaire. Réciter Marx comme un bréviaire en un temps où l’économie immatérielle devient dominante n’est sans doute pas la meilleure façon d’avancer dans ce siècle.

Camille Chauvet : Dans la phase finale du concours il restait 3 projets. Celui retenu par la Région avait-il ton assentiment?

Roland Sabra : Non mais le pire avait été évité. Un projet martinico-martiniquais, sorte de resucée des lycées Pailleron de triste mémoire a été éliminé. Un autre projet franco-français avait suscité un engouement dans la communauté scolaire et je le soutenais car il s’agissait d’un bel objet architectural et même sculptural. Le projet retenu était celui d’un guadeloupéen et d’un martiniquais d’origine argentine. Dans l’après-coup on réalise que des choix politiques extrêmement importants ont été faits sans que pour autant ils aient été formulés en tant que tels. Je m’explique. Faut-il choisir la meilleure technologie, quitte à ce qu’elle soit importée de France ou faut-il privilégier les ressources locales et ne compter que sur ses propres forces comme le disait Mao? Je n’ai pas de réponse claire, précise et tranchée à ce type de questionnement! Le projet retenu n’était donc pas le plus beau, mais ce n’était pas le plus laid. Six petits bâtiments alignés de façon décalée avec un sur-toit et une sur-couverture qui unifiaient le tout. Je ne suis pas sûr que ç’ait été très original mais bon. C’était le choix de la Région. Ce qui m’a paru le plus important c’est l’impressionnante capacité de dialogue de l’équipe d’architectes. Du moins dans un premier temps, parce qu’après il faut le dire ça s’est gâté.

Camille Chauvet : Comment ça « ça s’est gâté?

Roland Sabra : N’oublie pas que mon point de vue est élaboré à partir des possibilités de reconstruction de la salle de théâtre de la section L3 la salle dite Aimé Césaire. Mais on peut dire que l’attitude du maitre d’œuvre vis à vis du théâtre à l’intérieur du lycée à été le révélateur de son attitude générale face au projet. Les enseignants de théâtre avaient une philosophie qui était celle d’un théâtre ouvert sur la ville et qui permettent de former les élèves aux formes de représentations dites à l’italienne, à l’européenne en un mot mais aussi, et c’est un point capital aux formes de représentations des arts de la scène propres à la tradition caribéenne. Qu’est-ce que ça veut dire « Ouvert sur la ville »? Tout simplement que pendant les périodes de fermeture et exclusivement pendant la période hors-scolarité, du lycée il y avait une possibilité d’accès pour les compagnies martiniquaises à cet espace de répétition, de production inoccupé. La-dessus pas de difficultés avec l’équipe d’architectes. Si l’un des architectes semblait réceptif à la demande concernant les deux dispositifs scéniques, l’autre était plus hermétique à la dimension caribéenne de ces agencements. Et ce n’était pas le martiniquais! Quant à Soumbo le président de la Commission Éducation visiblement il n’y comprenait rien et sans aucun état d’âme il se ralliait à une solution de facilité qui prévoyait deux dispositifs à l’italienne. Exit le modèle caribéen et vive le modèle exclusivement européen.

C’est là que j’ai commencé à prendre mes distances avec un projet qui s’il n’emportait pas mon enthousiasme était acceptable, passable comme disent les profs mais qui par cette fermeture à la diversité, signait son ancrage dans une monoculture européenne. Sentiment que les profs étaient écoutés mais en aucun cas entendus. Et puis surtout dépit de constater que des « politiques » se disant indépendantistes étaient incapables de prendre en compte une demande aussi élémentaire. On allait former pour un siècle, durée de vie estimée du nouveau lycée des générations et des générations aux seules techniques du théâtre occidental.

Camille Chauvet : Après les derniers coups d’éclats médiatiques où en -est-on?

Roland Sabra : C’est une banalité de le dire, mais j’ai plus le souci d’être près de la vérité que de faire de l’originalité, nous vivons dans une société du spectaculaire, de l’image etc. Il y a des hommes politiques qu’il est assez facile de convoquer sur ce terrain là. Je dirai même qu’ils y vont tout seul. Quelques fois à leur profit quelques fois à leurs dépens.

Letchimy tient un double discours. D’un côté il se dit favorable au classement des bâtiments actuels, il a fait une demande en ce sens, et d’un autre côté il se dit favorable à un accord avec la Région sous réserve de modifications mineures. OK sauf que le classement qu’il réclame rendrait totalement impossible la réalisation du projet de reconstruction auquel il se rallie!!

Marie-Jeanne qui n’a pu débaptiser le Lycée du nom honni de Schoelcher se satisferait de sa disparition en espérant en faire porter la responsabilité à Letchimy. L’opération était jouable mais il aurait fallu être un froid calculateur et non pas un sanguin émotif.

Entre nous je trouve que les deux équipes ont fait preuve d’un amateurisme déconcertant. Il faudrait s’interroger sur les processus de prises de décisions autour de ces leaders politiques!

Apparemment le dossier est enterré. La Région a dit Niet à tout contact avec la municipalité. Le plus incroyable c’est de découvrir qu’aucune étude sur la dangerosité des bâtiments n’a été faite, je dis bien aucune étude scientifique! C’est Soumbo qui a vendu la mèche en confiant au Recteur que la Région allait faire faire cette étude dans les mois qui viennent. Les différents rapports de la commission de sécurité ne portent que sur les conditions d’utilisation des bâtiments, le nombre de portes par classe, la présence d’extincteurs etc. et non pas sur leur structure. Cela veut dire que la demande de « dégonflage » des effectifs du lycée s’est faite sans que l’on sache quels sont les bâtiments capables d’accueillir des élèves. Par ailleurs il se confirme que le Recteur s’est opposé à deux plans de la Région. Le premier prévoyait la liquidation pure et simple du lycée, le second ramenait les effectifs à 500, en dessous du seul de survie de la communauté scolaire.

La tragi-comédie se joue dorénavant à rôles renversés. Letchimy veut maintenant la reconstruction du lycée selon le projet déposé et Marie-jeanne s’y oppose!

Pourtant une solution existe. Elle est suggérée par la communauté scolaire. C’est un déménagement sur un site temporaire de tout le lycée. Cet emplacement existe. Plus exactement il y a deux emplacements possibles. Un assez éloigné du site actuel, l’Étang z’Abricot et l’autre tout près, l’ancien hôpital civil. Ce dernier me semble plus propice. Infrastructures routière, desserte de bus, lycée urbain peu de dépaysement, bref une série d’avantages à prendre en compte. Un fois les élections passées, il serait possible me dit-on d’installer en cinq ou six mois des mobiles homes en nombre suffisant pour que le lycée ouvre à la rentrée de septembre 2010. Pour qui en doute qu’on se souvienne de la construction de la fac de Vincennes en 68 sortie du bois en à peine six mois pour accueillir 12 000 étudiants!

Ce lycée de transit pourrait d’ailleurs servir ultérieurement à d’autres opérations de rénovation d’établissements scolaires.

Chirac citait lui aussi souvent cette phrase que l’on attribue tantôt à Churchill, tantôt à Jaurès tantôt à Lénine : « Là où il y a une volonté il y a un chemin » Je crois qu’elle s’applique parfaitement à la situation.

Camille Chauvet : que penses-tu de la position de syndicats qui veulent organiser une manifestation qui pourrait aider un candidat ou un autre?

Roland Sabra : Tu fais sans doute référence à des possibilités de manifs pendant la campagne électorale. De deux choses l’une. Ou bien il s’agit comme tu le dis d’aider clairement un candidat et il s’agirait ni plus ni moins d’un dévoiement du syndicat, ce serait revenir à la conception stalinienne de la courroie de transmission et je crois que personne ne serait dupe très longtemps. Ou bien il s’agit d’utiliser les possibilités d’être entendus pendant une campagne électorale, à un moment où les candidats sont plus réceptifs aux demandes de la population. Dans cette hypothèse il est de bonne guerre d’utiliser les possibilités qui sont offertes et il serait dommage d’attendre la fin des élections pour revendiquer! Il faut rompre définitivement avec une logique d’assujettissement des syndicats aux intérêts politiques. Au Lycée Schoelcher on voit très bien se dessiner deux positionnements possibles. Le SNES qui pencherait du côté de Letchimy et la CSTM_ UGTM du coté de Marie-Jeanne. J’espère que les professeurs sauront éviter ce piège qui stériliserait toute action. Si le vieux coq et le jeune coq ne s’entendent pas, ne trouvent pas de cocorico commun, qu’ils se démerdent! A eux d’assumer les conséquences de leurs incohérences.

Et pour terminer je dirai que nous avons toi et moi, et quelques autres fort heureusement, sur les registres qui sont les nôtres, un rôle de poil à gratter, un rôle d’empêcheur de penser en rond, que nous ne devons jamais caresser la bête dans le sens du poil, que nos interventions sur l’agora ne doivent jamais se soucier des intérêts catégoriels de tel ou tel clan politique et que si les mèches que nous allumons aboutissent à des charges explosives, ce n’est jamais nous qui les avons mises en place. Nous avons, même à notre modeste niveau, un devoir d’impertinence et d’irrespect.