« L’orchidée violée »: tout est à faire

— Par Roland Sabra —

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Photos Philippe Bourgade- Tous droits réservés.

José Exélis est un metteur en scène martiniquais des plus talentueux. Il nous a présenté l’esquisse de l’esquisse d’un travail  sur un texte de Bernard Lagier avec deux personnages incarnés par Amel Aïdoudi et un musicien Alfred Fantone Si le texte de Bernard Lagier est marqué de quelques envolées lyriques, de quelques belles images, sa construction demeure un peu confuse et le fil du propos n’en n’était que plus difficile à suivre.  Le travail à peine commencé de José Exélis, cinq services de répétition tout au plus pour  se présenter devant le public, s’appliquait donc à un texte  lui-même un peu brouillon. On devinait qu’il était question d’inceste et de liens forcément ambivalents entre la mère et l’enfant issu de ce drame. Amel Aïdoudi qui peut être admirable quand elle est dirigée peut être aussi insupportable quand elle est livrée à elle-même sur un plateau. C’était le cas. Dans ce genre de situation elle s’accroche à sa belle tignasse comme à une bouée de peur de couler sous le texte qu’elle ne peut faire vivre faute de se l’être approprié préalablement. Elle balance sa chevelure de droite à gauche, d’avant en arrière,  la lisse , l’ébouriffe, l’aplatît, la gonfle (et nous avec) y plante cent fois un couteau de cuisine avec lequel elle tente de jouer de temps à autre.  Ce n’est pas sa bonne volonté qui est en cause, elle a toujours cette générosité et cette sensualité qui la caractérise,  mais c’est ce désir de bien faire qu’il faut lui reconnaitre et dont elle ne sait que faire confrontée à un texte dont on se dit qu’il lui est parfaitement étranger. Elle dit un texte sans jamais l’incarner alors qu’elle tente inéxorablement de le faire et que c’est sans aucun doute ce qu’il ne fallait faire en aucune façon. José Exélis a fait comme s’il croyait qu’il suffisait d’être femme pour faire vivre un texte écrit par un homme sur la maternité issue d’un viol! Il ne s’agit pas de reprocher à Bernard Lagier d’être un homme qui écrit sur un tel sujet. Quand Flaubert dit  » Madame Bovary c’est moi » c’est une évidence.

Ce sur quoi il faut s’interroger c’est sur la nécessité qu’il y avait de présenter devant le public un « travail »  si peu abouti par la force des choses, si peu réfléchi, si peu pensé. Présenter un « Work in progress » au grand public est discutable. On a plutôt le sentiment que ce genre de production est le symptôme de l’incohérence, si ce n’est de l’absence de réelle politique culturelle en Martinique, que tout  ceci est fait dans l’urgence, dans l’impréparation, sans véritable ligne directrice faute d’une vision, d’un projet à moyen ou long terme. Le théâtre martiniquais va mal, les programmateurs semblent passer des commandes au coup par coup et fragilisent ainsi encore plus les comédiens et les metteurs en scène qui n’en n’ont certes pas besoin.

Ce ne sont pas tant Exélis et Aïdoudi qui sont en cause dans ce faux pas que les conditions dans lesquelles les artistes de ce pays sont amenés à travailler. Les rares moments émouvants de cette soirée sont redevables au musicien dont les sons plaintifs et syncopés de ses instruments ont su toucher le public. Tout n’est pas à refaire dans ce spectacle puisque tout est à faire.

Roland Sabra