Le gang de la « résidente » a encore frappé

Par Martin Troufion[i]

Après Le Talisman de la présidente signé par Corinne Mencé-Caster, voici L’Enlèvement du Mardi-Gras de Raphaël Confiant. Deux ouvrages sur l’affaire dite du Ceregmia qui a défrayé la chronique martiniquaise ces dernières années. Dans les deux cas, plutôt que de produire un compte-rendu des faits qui aurait pu être discuté, critiqué, l’ancienne présidente de l’ex-Université des Antilles de la Guyane et celui qui, en tant que doyen de la faculté des lettres, fut à la manœuvre à ses côtés, ont préféré chacun la forme du roman à clé qui permet toutes les fantaisies, toutes les approximations, le but n’étant pas de dire la vérité mais de présenter un plaidoyer pro domo en exagérant les torts de l’adversaire et en gommant soigneusement toutes les fautes, toutes les irrégularités commises par son parti (comme par exemple le fait de bloquer l’accès à l’université).Tout cela pour finir par un appel au lecteur invité à compatir au sort de deux héros, pures victimes du conflit, la première si épuisée par le combat qu’elle ne put assumer davantage la charge de la présidence (alors qu’elle était tenue de laisser la place à un autre), le second « sujet à de fréquents et violents maux de tête » et « conscient de bâcler ses livres depuis quatre ans »[ii].

Concernant le dernier point, le fait est que l’Enlèvement du Mardi-Gras n’est pas du meilleur Confiant et qu’on peut lui emboiter le pas et le juger, nous aussi, bâclé. D’abord l’auteur ne tient pas jusqu’au bout le parti de la fiction et introduit dans son livre des citations tronquées de rapports présentés comme officiels (avec une typographie en plus petits caractères) concernant « l’affaire ». Le procédé qui vise à crédibiliser tout le reste du récit n’est que relativement efficace : pour tenir le pari de la fiction, R. Confiant est obligé de transformer les vrais noms de personnes, d’institutions, voire de lieux au sein même de ces rapports a priori authentiques ; ainsi le Ceregmia n’est-il plus le Ceregmia mais le Filmaneg, l’UAG l’Alma Mater franco-caribéenne, la Martinique le Nadiland, la Guadeloupe le Variland, la Guyane Galibia, etc. Il en va de même pour les extraits des blogs des uns et des autres ou les courriels adressés à la communauté universitaire. Le mélange de faits avérés ou fictifs ne peut avoir que deux effets sur les lecteurs : les plus naïfs goberont tout ce qu’on leur raconte et adopteront la vision manichéiste du monde propagée par le livre ; les autres douteront de l’intérêt d’un ouvrage qui prétend dire le vrai sous les apparences du faux, tout en rendant impossible de démêler la vérité du mensonge, si bien qu’ils ne peuvent à la fin que s’interroger sur la réalité des rapports et des autres textes en petits caractères : authentiques ou inventés également par l’auteur de l’Enlèvement ?

L’enlèvement lui-même qui donne son titre au livre est une autre de ses faiblesses. Cette partie à l’évidence fictive (si la présidente de l’UAG avait réellement fait l’objet d’une tentative d’enlèvement qui aurait mal tourné et se serait soldée par l’assassinat d’une tierce personne, cela se saurait) est particulièrement « bâclée ». Non seulement on n’arrive pas à la situer dans la chronologie du récit mais l’auteur ne s’est pas intéressé à l’enquête policière qui s’amorce ensuite et qui n’aura pas de suite. L’indice (une grosse bague jaune pour homme) qui aurait dû permettre de remonter au commanditaire de l’enlèvement n’est pas exploité jusqu’au bout.

Comme dans tous les romans à clé, une grande partie du plaisir réside dans la recherche des personnes réelles des deux bords qui se cachent derrière les pseudonymes. Mais encore faut-il être suffisamment initié pour ce petit jeu. En dehors des personnalités qui ont défrayé la chronique – Julien Valmont[iii], le directeur du « Finameg » ; la Résidente ou reine d’Abyssinie, la présidente de « l’Alma Mater » ; l’Écrivassier, dit encore le Barbouilleur de papier ou le Crétin sonore, R. Confiant lui-même – le déchiffrage des autres pseudonymes devrait s’arrêter assez vite chez la majorité des lecteurs.

Sur le fond, pour peu que l’on connaisse un peu « l’affaire », il y a à boire et à manger dans ce récit. Le plus contestable – mais ce n’est pas rien – étant l’affirmation suivant laquelle elle se serait soldée par un trou de douze (12) millions d’euros – rien que ça ! – dans les finances de l’université, un chiffre des plus fantaisistes que Corine Mencé-Caster, que l’on suppose bien informée, n’avait pas voulu reprendre dans son propre récit autofictif. Ensuite vient l’accusation tout aussi fantaisiste suivant laquelle le directeur du Ceregmia aurait voulu créer un abcès de fixation en Guyane de telle sorte que la présidente de l’université, désormais requise sur les rives de l’Oyapok, lui laisse le champ libre. C’est évidemment faire bon marché du courriel adressé par R. Confiant lui-même, insultant pour les universitaires guyanais, qui a fait déborder une coupe déjà pleine et provoqué la scission, d’autant que, pour autant que je puisse en témoigner, le directeur du Ceregmia s’est toujours posé en défenseur de l’intégrité de l’UAG.

[i] Le lecteur pardonnera à l’auteur de ce compte-rendu de signer du pseudonyme qui lui est attribué par R. Confiant dans son roman. Histoire de le faire gamberger un peu.

[ii] Raphaël Confiant, L’Enlèvement du mardi gras, Ecriture, 2019, 340 p. 20 €, p. 319.

[iii] On se souvient que Valmont est le nom du personnage le plus sulfureux des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos.