Le développement de l’activité économique demeure l’affaire de l’Etat, pas celle des assemblées locales.

— Par Pierre Suédile —

decentralisationDans un contexte de crise économique qualifiée par certains de structurelle, les Français assistent à une sorte de translation de responsabilités de la collectivité publique nationale vers les collectivités territoriales. D’aucuns s’imaginent qu’il s’agit d’un processus de nature à mieux prendre en compte les intérêts des hommes et des femmes, mais en réalité il procède de la démarche générale qui consiste pour l’Etat central à se retirer sur la pointe des pieds. S’il est juste de placer la régionalisation – décentralisation de 1982-1983 dans le vaste mouvement commencé en 1960 par la déconcentration, il n’en reste pas moins que la réforme de 2003 s’inscrivait déjà dans une approche plus insidieuse. La création des Services extérieurs de l’Etat (DDE, DDASS, DDA,…) tels que désignés jusqu’à une date récente et le renforcement des pouvoirs préfectoraux répondaient en effet à une volonté d’efficacité au profit du citoyen. La décision prise au plus près des populations correspondait dès lors davantage aux besoins, et ce dans un temps plus court. Dans ce cadre juridique, l’Etat demeurait le seul responsable du développement en termes d’équipement et de dynamisation des activités économiques. Etait préservée en cela la transparence que requiert le partage des missions. La décentralisation de F. Mitterrand en a accéléré le mécanisme puisque, quand bien même elle n’a été que juridique, elle a permis de préciser sans ambigüité les trois acteurs locaux, à savoir les collectivités territoriales régionale, départementale et communale. Les compétences et les moyens, tant financiers, humains que matériels ont été définis, les relations entre institutions locales arrêtées et les rapports avec l’Etat décrits avec précision.
Depuis, les pouvoirs de chacun se sont trouvés inscrits dans le marbre, ne laissant presqu’aucun doute sur les missions respectives. Il faut saluer à l’occasion l’œuvre magistrale des assemblées politiques locales, dans toute la France, quelle que soit la famille politique et dans tous les domaines qu’elles ont hérités de la loi. L’Europe y a apporté sa contribution financière et les personnels recrutés leur savoir-faire.
S’agissant du développement économique, la situation paraissait alors très limpide à tous, l’Etat ayant conservé cette prérogative dans le souci de privilégier ses propres orientations économiques majeures. Alors qu’au local se voyait confié l’aménagement du territoire régional à l’initiative du Conseil régional et après concertation avec tous les acteurs intéressés, le pouvoir central conservait son rôle moteur par ses investissements et par sa participation au plan régional sur la base de contrats de plan. Ce n’est plus véritablement le cas aujourd’hui et la transparence n’est plus d’actualité. Bref ! La compétence économique décentralisée demeurait limitée après 1983, ce qui permettait de savoir que l’Etat en portait la responsabilité majeure. Ce constat paraissait hors d’atteinte des contestations et les collectivités territoriales ainsi que les élus ne pouvaient pâtir de quelque immobilisme que ce soit.
Aujourd’hui, le temps n’est plus à l’autosatisfaction de politiques montrant du doigt le gouvernement fautif de ne pas agir, de ne pas faire reculer les chiffres du chômage, de ne pas susciter la création d’activités. La mondialisation a apporté depuis son grain de sel en plaçant les états, la France en particulier, dans la sphère de la compétitivité que l’on pourrait croire réservée aux seules entreprises. S’il faut décortiquer ce concept s’imposant dorénavant aux états, il convient de dire d’abord que la recherche de la qualité s’applique à la confiance qu’ils doivent susciter chez les investisseurs et les banquiers. Elle s’exprime notamment dans la réduction à outrance de l’endettement, fameux critère de convergence de l’Union européenne imposé à la Zone euro. Quant au prix minimal, deuxième composante de la compétitivité d’un produit, disons que pour les financiers l’Etat ne peut l’obtenir que par une diminution des dépenses budgétaires prioritairement sociales. Elles doivent être réduites au plus simple appareil sauf que le drame réside dans le fait que ce sont les populations qui se retrouvent l’arrière-train au grand jour. Les exigences de compétitivité imposées aux états par la mondialisation et transcrites dans les notes des agences de notation devenues les censeurs des peuples, sont donc à l’origine d’un comportement suicidaire de la France. La deuxième décentralisation de J. Chirac portait déjà en germe cette finalité nouvelle de transfert des compétences coûteuses et peu appréciées de la finance internationale et des organismes tels que le FMI temple du néolibéralisme. La fausse décentralisation de l’ancien RMI, l’insertion des personnels techniques des établissements scolaires dans les effectifs des collectivités territoriales en sont des exemples édifiants. Ce que le pouvoir central ne veut plus payer est transféré, décentralisé et tant pis pour les déséquilibres des institutions locales. Elles paieront en lieu et place de l’Etat en procédant à des coupes sombres dans des budgets qu’elles doivent obligatoirement arrêter en équilibre…
Sauf que l’UE exige depuis peu des budgets étatiques consolidés prenant en compte, tant ceux des collectivités locales que ceux de leurs satellites (établissements publics..). Quelle malchance !
Qu’en est-il alors de la compétence économique qui aujourd’hui culpabilise à l’extrême des élus locaux situés à quelques encablures des feux des élections ? L’Etat a réussi le coup de transférer dans le cerveau des élus et des populations toute la culpabilité que peut contenir l’observation d’un chômage régional croissant, ou à tout le mois celle d’une activité en panne. Pour cela il s’est pris en deux temps. Si la décentralisation des socialistes a ouvert le bal en créant les concepts parallèles que sont, « créer les conditions du développement économique » incombant aux régions, et « développer » restant l’affaire du pouvoir central, les lois suivantes de décentralisation se sont engouffrées dans la brèche. Par des phrases délibérément imprécises l’élu local a été convaincu qu’il est le grand responsable du développement économique. Même si les moyens ne sont pas au rendez-vous et malgré le caractère temporaire du résultat, il faut développer l’activité par la commande publique en multipliant les opérations dans le domaine du BTP. Créer les conditions du développement économique est passé au second plan alors qu’il s’agit de faire le choix des énergies, d’équiper en haut débit, d’accompagner la recherche, d’adapter la formation professionnelle, de favoriser l’accès des PME au crédit bancaire, d’impulser la création d’activités par un encadrement technique et financier, de promouvoir la notion de société plus résistante à la concurrence, de sensibiliser à la préférence locale, de provoquer le partage du marché entre importation et production locale, de maîtriser le transport et son coût, de créer une forte synergie entre les mondes de l’entreprise, de l’université et de la politique, de peser sur les prix, d’aider à la compétitivité des entreprises, d’orienter et de labéliser une agriculture et un artisanat raisonnés, d’encadrer le secteur informel, de veiller à la collecte mais surtout à la distribution des produits locaux, de définir les axes du futur à l’intérieur des voies technologiques et des services supérieurs, et d’y faire adhérer les jeunes diplômés
L’Etat n’a pas de quoi être satisfait, l’épine transférée dans le pied du pouvoir local a tendance à grossir et ce n’est surtout pas l’assurance constitutionnelle mais par trop utopique d’un transfert de moyens à la mesure des charges décentralisées, qui va permettre d’éviter l’explosion de la bulle. Celle de l’endettement des collectivités territoriales provoqué par l’appel au crédit pour suppléer le non versement des sommes astronomiques dues et le retrait généralisé de Paris, celle d’une dépense locale privilégiant l’emploi du court terme sur celui du long terme, trouvent à coup sur leur aboutissement dans un traitement superficiel de la question du développement.
Faut-il conclure que les états ne s’intéressent plus beaucoup à la condition des peuples ?