Guadeloupe. La bataille des forçats de la banane

— Par Dominique Sicot —

À Bois-Debout, dix jours de grève ont permis aux ouvriers d’obtenir leur dû. Leur exemple s’est étendu à une douzaine de plantations Depuis le 18 mai, ils sont 200 à avoir cessé le travail pour obtenir une convention collective et en finir avec des conditions d’emploi proches de l’esclavage.

Plus de 200 ouvriers agricoles travaillant dans une douzaine de plantations de bananes, situées autour de la commune de Capesterre-Belle-Eau, sont en grève depuis le 18 mai. Soutenus par la CGTG (Confédération générale du travail de Guadeloupe), ils se sont organisés en comité de grève. Face à eux un patronat de choc ! Reçus le 22 mai par les responsables de la région, les grévistes avaient demandé leur intervention. Sans effet pour l’instant. « Aucune négociation ne s’est ouverte, confirme Jean-Marie Nomertin, secrétaire général de la CGTG, mais on a l’habitude ! Les grèves sont toujours dures dans les plantations. » Le 19 mai, un planteur à sinistre réputation, Tino Dambas ­ « un patron noir qui sert de marionnette aux gros békés », dénoncent les ouvriers ­ a tenté de foncer avec un tracteur sur les grévistes qui s’étaient réunis à un rond-point. Une certaine conception de ce qu’on appelle le « dialogue social » !

La direction condamnée

Les revendications des grévistes n’ont pourtant rien d’extraordinaire. Ils veulent la mensualisation des salaires ­ une obligation depuis 1989 ­, un treizième mois, et en finir avec des conditions de travail proches de l’esclavage que la rareté des contrôles et l’emploi d’une main-d’oeuvre très précaire venue d’Haïti ou de Saint-Domingue contribuent à entretenir. Chaque jour, un ouvrier porte 7 tonnes de bananes sur son dos en pleine chaleur ­ à 60 ans, certains y sont encore contraints. D’autres effectuent des tâches en hauteur sur des échelles ou plateformes, sans réelle protection. Le tout avec des horaires à rallonge, sans paiement d’heures supplémentaires.

C’est la victoire des ouvriers de Bois-Debout, la plus grosse plantation de l’archipel, après une longue bataille juridique et plusieurs grèves, qui a ouvert la brèche. L’enjeu est désormais d’obtenir que ce qu’ils ont gagné soit étendu à tous. En juin 2015, 63 ouvriers de BoisDebout avaient porté plainte aux prud’hommes, dénonçant de nombreuses irrégularités sur le calcul et le paiement de leurs salaires. Le jugement, rendu le 31 mars 2017, leur a donné raison sur toute la ligne, condamnant la direction de l’entreprise à payer 10 000 à 20 000 euros de rappels de salaires à chacun des plaignants (heures sup non payées, retraits abusifs sur les salaires soi-disant pour des tâches non réalisées, treizième mois ­ qui existait pour les cadres ­, 100 euros mensuels d’augmentation prévus dans l’accord Bino conclu après la grande grève de 2009…). La direction est aussi sommée d’organiser des négociations annuelles sur les salaires et à verser 5 000 euros de dommages et intérêts à la CGTG, ainsi que 100 euros par salarié au titre des frais de justice.

Soutien de la population

Mais pour que la direction de BoisDebout daigne appliquer cette décision de justice, encore a-t-il fallu plus de dix jours de grève, début avril. Payer leur dû aux ouvriers allait couler…
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Illustration : Odile Houot