« Fatima » de Philippe Faucon, prix Louis-Delluc 2015

— Par Latifa Madani —

fatimaSynopsis
Fatima vit seule avec ses deux filles : Souad, 15 ans, adolescente en révolte, et Nesrine, 18 ans, qui commence des études de médecine. Fatima maîtrise mal le français et le vit comme une frustration dans ses rapports quotidiens avec ses filles. Toutes deux sont sa fierté, son moteur, son inquiétude aussi. Afin de leur offrir le meilleur avenir possible, Fatima travaille comme femme de ménage avec des horaires décalés. Un jour, elle chute dans un escalier. En arrêt de travail, Fatima se met à écrire en arabe ce qu’il ne lui a pas été possible de dire jusque-là en français à ses filles.

Dans son sixième film, Philippe Faucon braque la caméra sur des héroïnes ignorées : ces femmes de ménage et leurs filles qui résistent à la souffrance et qui livrent bataille pour leur liberté. Soria Zeroual, émouvante Fatima, a pris goût au tournage. Elle crève l’écran. Chapeau !
« Un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse. » L’arbre qui tombe, Philippe Faucon l’a raconté dans son précédent film, « la Désintégration » (2011), où il montrait la dérive terroriste de jeunes Français. Cette fois, parce qu’il lui semblait important de « préserver l’espoir », il montre « la forêt qui pousse ». « Fatima », son sixième long-métrage, adapté des récits de Fatima El Ayoubi (1), met en lumière des femmes de l’ombre. Ces prolétaires invisibles, qu’on croise tous les jours dans les rues ou qu’on aperçoit, tôt le matin, dans les couloirs des bureaux. On les voit si peu dans le cinéma français.

EMBÛCHES ET SOLIDARITÉ
La caméra de Philippe Faucon dévoile tout en retenue et sans stéréotypes un « parcours de combattante » au quotidien, confrontée au racisme dans la recherche d’un logement et à la violence du monde de l’entreprise. Ce parcours n’est pas que semé d’embûches. La solidarité des voisines, l’écoute des travailleurs sociaux, la parole des médecins nourrissent l’espoir. Fatima et ses filles, trois trajectoires de vie, trois portraits de femmes, servis par des actrices éclatantes de vérité au point de se confondre avec leurs personnages. « Elles ont été touchées par les thèmes abordés. Elles ont chacune engagé quelque chose de très fort dans le film. Les personnages sont très incarnés. Sans doute parce que chacune à son niveau se sentait concernée », confie le réalisateur.
Nesrine est interprétée par Zita Hanrot, du Conservatoire national de Paris. C’est une jeune fille plutôt bien dans sa peau et dans sa tête qui s’acharne à réussir dans ses études. Et dans sa vie. Elle a un lien fort avec sa mère, jusqu’à en somatiser les souffrances.

RIEN N’EST COMME AVANT

Souad, la cadette tout en révolte, est jouée par Kenza Noah Aïche, repérée dans un court-métrage. Elle souffre de l’absence du père, sèche ses cours et ne supporte pas que sa mère fasse des ménages et ne parle pas français : « Tu es une cave. (…) Tu comprends tout de travers. Tu ne sais même pas lire. » Fatima, la mère, a mal mais elle comprend. Elle écrit dans son cahier : « Là où un parent est blessé, il y a un enfant en colère. » Elle lui répondra plus tard : « Sois fière des Fatima qui nettoient les maisons des femmes qui travaillent. »
Philippe Faucon a longtemps cherché qui pourrait incarner Fatima. Il craignait de perdre en authenticité avec une actrice professionnelle. Il l’a trouvée à Givors, dans le Rhône. À l’image de son personnage et de son combat, Soria Zeroual est femme de ménage et mère de famille. Arrivée en France avec son mari il y a 15 ans de son Algérie natale, elle n’aurait jamais imaginé un jour faire du cinéma. Après le tournage et la présentation du film à Cannes, Soria Zeroual a repris son travail et retrouvé ses trois garçons. Mais rien n’est tout à fait comme avant. Elle confie sa joie d’avoir tourné ce film qu’elle est en train de défendre au cours des nombreuses avant-premières et séances-débats programmées un peu partout en France (2). Non, elle n’en fera pas son métier, « qui voudra d’une femme arabe de 45 ans qui porte le foulard ? ». Mais si on avait besoin d’elle, « elle recommencerait bien ».
Philippe Faucon a mis des années pour boucler son film, a priori peu attrayant pour les financeurs. Après avoir été très bien accueilli à Cannes et pour éviter qu’il ne soit cantonné au seul circuit Art et essai, les distributeurs ont décidé cette fois de tenter le réseau grand public.

(1) « Prière à la lune » (2006) et « Enfin, je peux marcher seule » (2011) de Fatima El Ayoubi. Éditions Bachari.

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Fatima

Réalisé par Philippe Faucon
Avec Soria Zeroual, Zita Hanrot, Kenza Noah Aïche plus
Genre Drame
Nationalité Français
Presse

Notes des critiques 4,3/5
24 critiques
Notes des Spectateurs : 3,9/5
pour 479 notes dont 70 critiques


« Fatima », de Philippe Faucon. France, 79 minutes.