En revenant de l’Expo…

 Aimé Césaire, Lam, Picasso « Nous nous sommes trouvés »

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— Par Roland Sabra —

Suite de l’article Césaire, Lam, Picasso, ils se sont trouvés!

Passé le sas d’entrée sur la droite sont accrochés dans ce qui peut ressembler à une alcôve quelques masques ayant accompagné Césaire, Lam et Picasso leur vie durant.

  S’en tenir à la déclaration péremptoire et agacée de Picasso en réponse à une critique de sa période cubiste un peu trop réductrice « L’art nègre ? Connais pas ! » c’est tordre la pensée du peintre, lui qui précise, «  Il n’y a pas d’art nègre, mais une manifestation du génie humain qui, à la suite des circonstances, s’est exprimée et développée en Afrique. » Le paradoxe tient à ce que Picasso va contribuer, peut-être plus que tout autre, mais sans doute involontairement, ou tout au moins sans en mesurer toute la portée, à la constitution d’un nouvel objet, «  L’Art nègre » précisément, dont il dit par ailleurs ne rien savoir ! Le statut des objets africains rapportés par les navigateurs portugais dès le XVème siècle et constitués en collections à partir du tout début du XXème siècle par Maurice de Vlaminck comme l’atteste Guillaume Apollinaire, sont porteurs d’une ambiguïté qui ne cesse de faire débat aujourd’hui encore. Faut-il les voir, à l’instar des ethnologues, comme des témoignages de cultures autres ou ne considérer, comme le font les hommes de l’Art, que leur esthétique au risque de les mutiler de leur fonction première. Ne voir dans un masque qu’une œuvre d’art n’est-ce pas occulter ce qu’il transmet d’une histoire et d’une mémoire collective ? N’est-ce pas une réappropriation ethnocentrique d’objets culturels par une esthétique essentiellement occidentale dont le Musée Branly ne serait que l’ultime accomplissement? En tout cas est-il que l’objet africain est devenu un objet d’art, un objet marchand, comme en témoigne le succès fou et l’envolée des prix des antiquités africaines depuis un quart de siècle.

 Le masque africain exposé qui appartenait à Picasso n’est peut-être pas le mieux choisi. Il n’a été cédé au peintre par André Breton qu’en 1936, dix-neuf ans après la réalisation en 1907 des « Demoiselles d’Avignon » série de tableaux qui marque un tournant important dans l’œuvre du peintre catalan. C’est de la visite en 1905 au Musée d’Ethnographie du Trocadéro que date une fascination jamais démentie pour les objets africains et le début d’une collection qui comptera plus d’une centaine de pièces. Et c’est dans l’atelier des Grands-Augustins en 1938, que Wifredo Lam sera attiré par le Masque heaume Goli, aujourd’hui exposé à la Fondation Clément, que Picasso par un tour de passe-passe anima d’un mouvement qui le rendit tout à coup vivant. Lam fortement impressionné par l’artifice de Picasso déclinera dans de nombreux tableaux le thème de la « femme-cheval assise » très proche de ce qui l’aura ébloui.

 Il deviendra lui aussi collectionneur de masques africains, dont l’impressionnant Masque banda, Baga ou Nalou d’un mètre quarante de hauteur aux couleurs verte, rouge, ocre et noire et qui semble veiller sur les autres. La collection de Lam débutera à son retour à Paris en 1946 et se poursuivra à La Havane puis en Italie. Une de ces dernières acquisitions,,  sans doute, sera un Masque « Coureur » du Gunyegé, de Cote d’Ivoire ou du Liberia d’une veine plus réaliste et plus expressive que les premières pièces.

 Et Césaire dans ce débat entre hommes des Arts et ethnologues de quel côté penchait-il ? Les théoriciens et les poètes de la négritude étaient de fidèles lecteurs de Leo Viktor Frobenius le premier ethnologue à remettre en cause les fondements idéologiques du colonialisme en contestant la soi-disant découverte en Afrique de peuples sauvages qu’il aurait fallu civiliser !

 « Lorsqu’ils arrivèrent dans la baie de Guinée et abordèrent à Vaïda, les capitaines furent fort étonnés de trouver des rues bien aménagées, bordées sur une longueur de plusieurs lieues par deux rangées d’arbres ; ils traversèrent pendant de longs jours une campagne couverte de champs magnifiques, habités par des hommes vêtus de costumes éclatants dont ils avaient tissé l’étoffe eux-mêmes ! Plus au sud, dans le Royaume du Congo, une foule grouillante habillée de « soie » et de « velours », de grands États bien ordonnés, et cela dans les moindres détails, des souverains puissants, des industries opulentes. Civilisés jusqu’à la moelle des os ! Et toute semblable était la condition des pays à la côte orientale, le Mozambique, par exemple ( Cité dans Tropiques  n°5, avril 1942, et par Cheikh Anta Diop, Nations nègres et cultures, Présence Africaine, 1954).

 A André Malraux qui évoquait la perte de sens de ces objets exposés hors de leur contexte, Aimé Césaire répondit que la soi-disant perte n’était en réalité qu’une transformation, une mutation preuve de que l’art africain était toujours vivant et bien vivant. Pas touche à l’Afrique !

 Dans le bureau de son appartement parisien Aimé Césaire était entouré de statuettes et de masques dont celui, fameux, de la Confrérie du Ménang, Chefferie de Laïkom, du Cameroun qui dit-on impressionnait voire terrifiait ses enfants. Ce bel objet ( voir la photo) ci-dessu) est lui aussi exposé ainsi que quelques autres.

 La suite de la visite dans un article à venir.

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