Chagall : du noir et blanc à la couleur

Hôtel de Caumont, Aix en Provence jusqu’au 24 mars 2019

— Par Michèle Bigot —
Culturespaces présente une dimension inexplorée de l’œuvre de Chagall. L’exposition est consacrée à la deuxième partie de sa carrière et au renouvellement constant qui préside à sa création de 1948 jusqu’à son décès en 1985. En 130 œuvres très diverses, qui vont du dessin à la sculpture en passant par la faïence et l’huile sur toile, l’artiste passe du noir et blanc aux couleurs les plus vives et les plus lumineuses. De nombreux supports sont exploités, Chagall tirant de chacun une inspiration singulière.
Au tournant de 1950, Chagall exploite toutes les nuances du noir et blanc, avec un goût particulier pour le noir dont il admire la profondeur et la subtilité.
La période sombre de l’après guerre se traduit dans son œuvre par les jeux de noir et blanc. Une série de lavis exécutés pour la revue Verve illustrant les Contes du Décaméron de Boccace témoigne de cette exploration, les nuances de gris contrastant avec la blancheur du papier.
De la même période datent les sculptures sur marbre qui jouent des mêmes thématiques, des mêmes contrastes de formes et des mêmes jeux d’ombre. Plusieurs techniques sont explorées simultanément dans cette construction de l’espace. Marbre, bronze, calcaire, pierre de Rogne, céramique. Les surfaces mates, brillantes, granuleuses ou translucides alternent selon les matériaux, papiers vélin, papier Japon etc.
Mais au-delà de la diversité des supports et des matériaux, on constate une grande régularité des motifs : le bestiaire fantastique, le couple amoureux et les légendes bibliques nourrissent autant la sculpture que le dessin ou la peinture. Coq, mouton, oiseau, cheval, toute bête fantastique sera le garant de la sérénité du couple. Omniprésent, le couple est aussi entouré par la famille, le village de Vitebsk. Toute une société qui se relève des massacres, des pogroms et qui va chercher un repos dans les scènes bibliques.
Au tournant des années cinquante réapparaît la couleur, qui tout d’abord s’immisce sur fond de noirs ou de gris. La scène est envahie par les images bibliques, inspiration de l’ancien testament qui renoue avec les racines judaïques de l’artiste, mais aussi syncrétisme mystérieux avec l’iconographie chrétienne : la tradition orthodoxe et l’art grec se mêlent à la culture hébraïque et à celle des chrétiens de Palestine. Les crucifixions alternent avec les scènes d’exode. Le christ en croix voisine avec les feux des pogroms. Il arrive même que le Christ se confonde avec l’autoportrait de l’artiste.
Dans les années soixante, les œuvres se font monumentales, la couleur la plus vive s’impose de façon impérieuse. Autour du travail pour l’opéra, apparaissent les personnages du théâtre lyrique. Véritable force vitale, la couleur acquiert une nouvelle autonomie. Huiles sur toile, grands formats déploient le « jeu de la couleur » (A.Malraux). C’est la couleur qui fait monument. La puissance et la modernité du monochrome dans les fonds de bleu, de rouge ou de rose ne font pas obstacle au fantastique mais lui confèrent une force expressive nouvelle.
Le spectateur est alors immergé dans un bain de couleurs franches et vives et ressort ragaillardi par cette explosion de vie colorée et de motifs oniriques.
Michèle Bigot