2017 : un réel risque de déclassement de la classe moyenne aux Antilles

— Par Jean-Marie Nol, économiste financier —
save_middle_classTous les indicateurs montrent aujourd’hui que la Guadeloupe et la Martinique ne vont pas bien et cela peut inciter en effet la masse croissante des laissés-pour-compte, des précaires, des jeunes aux diplômes dévalorisés, des éternels stagiaires, à cesser d’attribuer leurs échecs à des causes personnelles ou psychologiques, pour les rapporter à des évolutions collectives découlant des prochaines élections présidentielles en France hexagonale . Il va falloir moins de 2 ans pour mettre clairement en évidence cette nouvelle dynamique de déclassement de la classe moyenne en Guadeloupe et Martinique , non encore installée dans les réalités objectives , et que notre capacité de déni nous empêche de voir clairement . Ce retournement dynamique apparaît aujourd’hui dans un contexte où, pendant des décennies, la classe moyenne a fait figure de maillon le plus solide et le plus dynamique de la société Antillaise . Elle est considérée comme une classe de confort avec le bonus de salaire des 40% de vie chère , protégée et choyée, stable, située fort loin au-dessus de l’écume des difficultés des classes populaires en maîtrisant son destin social et partageant une culture de sécurité et de confiance dans l’avenir . Si les générations nées avant 1945, trop tôt pour bénéficier vraiment de l’Etat-providence et d’une société plus égalitaire, ont été polarisées à l’extrême entre un prolétariat exploité et une bourgeoisie d’héritiers de blancs créoles, celles qui sont nées entre 1945 et 1980 au moment de la phase mature de la départementalisation ont connu l’expansion massive du salariat intermédiaire, des perspectives de mobilité sociale ascendante historiquement exceptionnelles, tant du point de vue social qu’économique, les échelons les plus modestes ayant bénéficié des augmentations salariales les plus substantielles.
L’émergence de la société salariale des services administratifs , l’allongement de la vie, la généralisation d’assurances sociales plus généreuses et, bien évidemment,les allègements sur l’impôt progressif ont ensemble contribué à l’élévation du plancher social et à l’abaissement du plafond, entre lesquels une grande classe moyenne de fonctionnaires ,de professions libérales ,et d’entrepreneurs a gagné en homogénéité.Pour l’Etat-providence Français , ces groupes sociaux de la classe moyenne étaient d’une importance centrale car ils lui fournissent sa main-d’oeuvre en même temps que, le plus souvent, les meilleurs soutiens du régime départemental . Le modèle de croissance des années de départementalisation a consisté à développer un groupe social intermédiaire, ni riche ni pauvre, fondé avant tout sur le travail salarié de la fonction publique d’Etat , territorial et hospitalière. Ce groupe central avait des vertus de stabilisation et d’expression d’un progrès social et culturel.Cette situation risque fort de changer avec le couperet des élections présidentielles de 2017 . Est-ce inéluctable ?
Ce diagnostic de déclassement prochaine de la classe moyenne en Guadeloupe et Martinique est-il fondé, ou n’est-il qu’une angoisse sans cause réelle ? Peux -t-on raisonnablement craindre après les errements de la gauche libérale que tous les prétendants de droite à l’élection présidentielle présentent aujourd’hui une ligne ultra- libérale décomplexée avec un allègement de l’État qui risque de mettre à mal la classe moyenne : Suppression de l’ISF, fin des 35 heures, allocations chômage dégressives, allègements de la fiscalité sur les ménages et les entreprises, réduction de la dépense publique de 100 Milliards ou plus , relèvement de l’âge légal de départ à la retraite à 63 voire 65 ans, réduction des effectifs des fonctionnaires ( – 300 000 pour Nicolas Sarkozy ) et modifications de leur statut….En réalité, le signe le plus inquiétant est ailleurs, c’est à dire la réduction drastique des transferts publics couplée à la révolution numérique . Evidemment, la commande publique n’est pas indéfiniment extensible, dans un contexte de maîtrise des dépenses publiques qui aura pour effet de tarir les investissements ,et plus dramatique pour les jeunes, le privé ne pourra pas prendre le relais pour cause de révolution numérique . Dans une société Antillaise en stagnation,avec un Etat Français taillant dans les dépenses publiques et un secteur privé en manque d’investissement,déja une génération de jeunes diplômés a perdu toute perspective de trouver un travail en Guadeloupe et Martinique . Ces fractions de la classe moyenne ont acquis des droits au cours des trois dernières décennies mais elles sont sous pression. Trop riches pour recevoir des supports sociaux, elles sont aussi trop pauvres pour bénéficier des transformations des dix dernières années, très favorables au patrimoine. Le travail qualifié permet de moins en moins de constituer un patrimoine, dès lors que les parents n’en disposent pas. Au sein des générations de moins de 50 ans, ceux qui ne disposent pas d’un support massif de leurs parents resteront locataires à vie.
La réduction des aides sociales et les réductions d’impôts prévus pour 2017, laisse présager une lourde facture pour les populations les plus défavorisés, mais aussi pour les classes moyennes. Il en résultera une forte déstabilisation du groupe social qui a porté ce projet politique de départementalisation et encore plus près de nous celui de collectivité unique en Martinique.

En fait , dès 2017 nous nous dirigerons vers une forme de précarité civilisationnelle de la classe moyenne en Guadeloupe et Martinique . Cette dernière devra faire face à la déstabilisation de son statut, une paupérisation de ses conditions de vie avec la hausse des impôts locaux et le renchérissement de la vie chère , des tensions croissantes sur sa consommation, un stress au travail qui s’accroîtra avec le numérique , mais aussi une forme de marginalisation politique avec l’irruption sur la scène politique des populistes . La « nouvelle classe moyenne salariée » de la Guadeloupe et surtout de la Martinique vieillissante aura bientôt le sentiment de laisser la proie pour l’ombre . Demain, pour conserver sa place, le citoyen de la classe moyenne aux Antilles devra s’adapter en permanence et réinventer une nouvelle société qui demandera un capital culturel important et surtout homogène , une vision du développement économique solide, des politiques publiques performantes. Ce sont ces atouts qui permettront de conserver une capacité de résilience.

Jean- Marie NOL
Economiste financier