 — Par Sarha Fauré —
— Par Sarha Fauré —
L’Académie française a ouvert la saison des grandes distinctions littéraires en décernant, jeudi 30 octobre 2025, son Grand prix du roman à l’écrivaine haïtienne Yanick Lahens pour Passagères de nuit, publié aux éditions Sabine Wespieser. L’autrice, âgée de 71 ans, succède ainsi à Miguel Bonnefoy, couronné l’an dernier pour Le Rêve du jaguar.
Le scrutin, particulièrement serré, s’est joué au troisième tour de vote, Lahens l’emportant par onze voix contre dix face à Pauline Dreyfus (Un pont sur la Seine, Grasset). Alfred de Montesquiou complétait la sélection finale avec Le Crépuscule des hommes (Robert Laffont). Ce prix, doté de 10 000 euros et créé en 1915, ouvre traditionnellement la saison des grands prix littéraires avant le Femina, le Goncourt, le Renaudot et le Médicis.
Un roman de mémoire et de résistance
Paru le 28 août, Passagères de nuit retrace le destin de plusieurs générations de femmes haïtiennes et créoles, ces « passagères » anonymes qui, au temps des bateaux négriers, luttent pour échapper à la violence, aux abus et à la servitude. Le récit alterne entre Port-au-Prince et La Nouvelle-Orléans au XIXᵉ siècle, évoquant la force des lignées féminines face à l’Histoire et au déracinement.
« Toujours avancer sans se retourner » : tel est le mot d’ordre d’Elizabeth, née en 1818 à La Nouvelle-Orléans, et de Régina, née pauvre parmi les pauvres en Haïti un demi-siècle plus tard. À travers elles, Yanick Lahens rend hommage à ces femmes de courage et de mémoire, porteuses d’un espoir qui transcende les générations.
Une voix majeure de la Caraïbe francophone
Née en 1953 à Port-au-Prince, Yanick Lahens s’impose depuis plusieurs décennies comme une figure incontournable des lettres caribéennes. Romancière, essayiste et nouvelliste, elle s’attache à raconter la complexité d’Haïti et de ses diasporas à travers une langue poétique et politique.
Son œuvre, déjà couronnée à plusieurs reprises, témoigne de cette reconnaissance internationale :
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Prix Femina 2014, pour Bain de lune, roman foisonnant sur la mémoire d’un village haïtien ravagé par les tragédies familiales et politiques ; 
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Prix Carbet de la Caraïbe et du Tout-Monde 2020, qu’elle a partagé avec l’écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé, récompensant son engagement littéraire et intellectuel pour la Caraïbe ; 
« La littérature transcende le temps et l’espace »
Actuellement en résidence aux États-Unis, Yanick Lahens n’a pas pu être présente quai Conti pour recevoir son prix. Son éditrice, Sabine Wespieser, a lu son discours devant les membres de l’Académie.
« Je reçois cette distinction avec d’autant plus de surprise qu’il s’agit d’un roman écrit à des milliers de kilomètres de Paris et qui évoque la Nouvelle-Orléans et Port-au-Prince au XIXᵉ siècle », déclare Lahens. « Cette récompense me conforte dans l’idée que la littérature conserve un pouvoir immense : celui de transcender le temps et l’espace, de faire fi des frontières qui nous enferment pour nous faire grandir. »
Elle a également évoqué la « ville-monde » qu’était La Nouvelle-Orléans et les crises du Sud qu’Haïti annonçait déjà au XIXᵉ siècle, citant Édouard Glissant et sa vision d’un « Tout-Monde » solidaire et en mouvement.
Un triomphe aussi pour l’édition indépendante
Ce Grand prix consacre enfin la maison Sabine Wespieser, indépendante depuis 2002, fidèle à une ligne littéraire audacieuse et exigeante. Passagères de nuit s’est déjà écoulé à plus de 3 600 exemplaires, et figurait dans les premières sélections du prix Goncourt 2025.
Entre mémoire, souffle poétique et engagement, Yanick Lahens offre avec Passagères de nuit une fresque magistrale sur la condition des femmes, l’exil et la transmission — confirmant sa place parmi les plus grandes voix de la littérature caribéenne et francophone contemporaine.
