Widad Amra publie « Regards d’errance »

— Par Pierre PINALIE —


Ce ne sont pas des cris, mais tout est dit fortement, et la langue est belle, qui sait glisser du classique au familier sans repousser un seul instant l’intérêt du lecteur. À tel point que les phrases qui font allusion à un dieu restent aimables et séduisantes, sans choquer et sans repousser ceux qui n’entrent pas dans les croyances. D’ailleurs, l’apparition des « vendredi » pourrait même enchanter d’autres croyants venus d’autres lieux. Et sur l’enchaînement des thèmes et des allusions, une dialectique permanente retient l’attention du militant qui déplore la colonisation et du camarade qui aime qu’on le nomme ainsi.

De manière étonnante, les fêtes religieuses voisinent avec l’Indien venu d’ailleurs, et la nature reste un cadre permanent, avec des flamboyants et surtout l’arbre du voyageur, et cela paradoxalement, dans un pays mêlé. Face à la végétation variée, l’homme présente aussi un éventail de peaux différentes jusqu’à ce que se produisent des dérives encanaillées malgré le plaisir du rhum. Et du point de vue de l’Histoire, du droit et de l’espoir, il est normalement attendu que les marrons aient laissé leur souvenir et leur âme.

Comme un « chouval bwa », la ronde des races différentes est une fête où peuvent même être invités ceux que l’on dit « chapés », et là est l’espoir. Oui, l’amour est sacré à tel point que si le mot « saint » a un sens, n’importe quel être bon mérite son auréole, y compris dans la musique et dans la danse. Et chez Widad, les fameux saints ont surtout nommé des communes en laissant dans le sud du pays, une table du diable, comme on l’appelle.

La richesse et la variété des langues permet de passer de la « merde » à la « baraka », et la paix devrait pouvoir s’appeler « salam » et « shalom » en même temps. De la même manière, les Sainte-Luciens n’ont pas besoin d’être appelés saints pour être accueillis, de même que les Dominicais. Et depuis Jacques Brel, Léo Ferré et Oum Khalsoum, la poésie et la musique doivent toujours nous pousser à nous aimer les uns les autres. Et qu’il y ait des voyous dans le pays poreux, ils ont le droit de vivre et de trouver du travail, comme le serpent « fer-de-lance » habite librement sa terre.

Très beau texte dans une riche langue ouverte comme un cœur, cet ouvrage poétique flotte au-dessus des morts respectés et regrettés, et chante tout ce qu’on souhaite pour l’avenir. C’est une très belle leçon d’amour faite sans prétention, dans le charme et l’humour, avec un réalisme parfois sévère mais toujours sincère. Widad, je partage avec toi, ton amour pour la Martinique.

Pierre PINALIE