Voyager sur « Le Tapis Volant » de Colette Césaire

Chaque dimanche, depuis le 9 août, Colette Césaire nous propose une émission audionumérique, qu’elle a imaginée et qu’elle réalise sur sa chaîne YouTube. Dans la bande-annonce, elle nous dit avoir voulu « une série de lectures bienfaisantes, un moment d’écoute, d’évasion littéraire et poétique ». Se référant au poème « Élévation » de Baudelaire — Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides / Va te purifier dans l’air supérieur / Et bois, comme une pure et divine liqueur, / Le feu clair qui remplit les espaces limpides — elle choisit de baptiser cette série d’un beau nom qui fait rêver, évocateur de contes d’Orient et de Mille et une Nuits, « Le Tapis Volant ». Car dit-elle, « quoi de meilleur qu’un tapis volant pour explorer les espaces limpides (…) Sur mon tapis volant, nous voyagerons de texte en texte et respirerons un air neuf qui, je l’espère, vous enchantera le cœur et l’esprit pour des lendemains meilleurs ».

Colette Césaire est née et vit à la Martinique. Elle est professeur certifiée de lettres modernes, conférencière, artiste et spécialiste de l’œuvre d’Aimé Césaire, dont elle explore, depuis plusieurs années, les multiples dimensions. Elle lit elle-même les textes qu’elle choisit de nous faire découvrir, ou redécouvrir dans une approche nouvelle. Entendre, se laisser pénétrer par les mots que la voix prend en charge, voici une autre façon d’apprécier les textes littéraires…

 

Extraits lus dans les trois premières émissions  

9 août. Premier opus : « Rêver un monde neuf » : « Vents » (Saint-John Perse).  « Corps perdu » (Aimé Césaire in « Cadastre »). « Cahier d’un retour au pays natal » (Aimé Césaire) 

16 août. Deuxième opus : « Osons crier ! » : « Sales nègres » (Jacques Roumain in « Œuvres complètes »). « Hoquet » (Léon-Gontran Damas in « Pigments »)

Avis You Tube : Vidéo soumise à une limite d’âge (conformément au règlement de la communauté)

23 août. Troisième opus :  « Que gronde le tambour, pour unir les hommes ! » : « Gouverneurs de la rosée » (Jacques Roumain in « Œuvres complètes »). « Le grand camouflage. Écrits de dissidence -1941-1945 » (Suzanne Césaire)

La censure exercée par YouTube

Comme il se devait, comme il était juste de faire, Colette Césaire a réagi à cette limite d’âge imposée par YouTube à son deuxième opus « Osons crier » ; l’échange peut se suivre sur Facebook, puisque Colette Césaire indique la référence de sa page personnelle, à la suite de chaque vidéo.

18 août. La réaction de Colette Césaire

À l’équipe YouTube,

Après avoir examiné ma vidéo, « Le tapis volant. Osons crier ! », vous avez « conclu qu’elle n’est pas adaptée à tous les publics », au motif qu’elle présente « un langage d’une vulgarité excessive ». Je m’oppose à cette analyse et fais par la présente appel de votre décision. (…)
Limiter l’accès de ma vidéo et prétendre qu’elle représenterait un danger pour les plus jeunes constitue une erreur à un autre égard. En effet, le poème « Sales nègres » n’a rien de vulgaire. C’est l’inverse : il est pédagogique et bienfaisant, car il éveille et élève les consciences, rend les enfants sensibles au racisme, qu’il faut absolument combattre, donne à voir et à ressentir à tous la solidarité, la fraternité, c’est-à-dire la véritable humanité. D’où l’intérêt de rétablir l’accès de ma vidéo à tous les publics.
En levant la limite d’âge imposée à ma vidéo, vous supprimerez une censure inique, vous permettrez à tout le monde de connaître un texte utile et vous rendrez justice à des écrivains de qualité qui, leur vie durant, ont œuvré à l’avènement d’une société débarrassée du racisme comme de toutes les formes de discrimination.
Espérant que vous reviendrez sur votre décision et accéderez à ma demande.
Avec mes salutations,
Colette Césaire

19 août. La réponse de YouTube à Colette Césaire  

Bonjour Colette Césaire,

Merci d’avoir fait appel, auprès de YouTube, de la décision concernant votre vidéo. Après avoir examiné plus attentivement votre vidéo, nous avons déterminé qu’elle risque de ne pas convenir à tous les publics, malgré le fait qu’elle respecte le règlement de la communauté. Une limite d’âge a donc été appliquée.
Cordialement.
L’Équipe YouTube

20 août. L’intervention de Serge Letchimy

Le député de la Martinique a rapidement pris position en faveur de Colette Césaire, pour la levée de la limite d’âge. Le texte se trouve dans le magazine Antilla

Je condamne la décision de YouTube qui consiste à juguler la vidéo de Colette Césaire « Le tapis volant. Osons crier ! », au prétexte qu’elle « n’est pas adaptée à tous les publics, et présente un langage d’une vulgarité excessive ». Ces textes lus par la comédienne et professeur de lettres Colette Césaire, s’attachent d’abord à une vérité historique, et concernent un poème, « Hoquet », du Guyanais Léon-Gontran Damas, l’un des fondateurs du mouvement de la Négritude, et un autre poème, « Sales nègres », composé par le Haïtien Jacques Roumain, l’une des plus célèbres plumes caribéennes.
Autrement dit, YouTube s’octroie le droit de censurer des textes, de les ôter à la connaissance d’un public jeune, au-delà même d’une autorisation parentale, les fermant ainsi à une culture qui combat le racisme et éduque à plus d’humanité .
La limitation par YouTube de l’accès à la diffusion des textes de ces deux grands écrivains lus par Colette Césaire est un véritable scandale, que je condamne en tant que parlementaire martiniquais et que je fustige en tant qu’homme libre.
Ce qui est merveilleusement dit d’une voix vivante et digne nous conduit en plein cœur d’une vérité que tous devons connaître et assumer, y compris les plus jeunes.
Césaire, Roumain, Damas, prophètes émancipateurs, poètes du vivant, ont fait du respect de la dignité humaine une exigence.
Interdire cette diffusion aux plus jeunes c’est porter atteinte à l’essence même de la pensée de ces éveilleurs de conscience, qui naît du mépris de cette dignité humaine pendant cette dégradante période de la colonisation et de l’esclavage.
C’est ce déni d’être, c’est ce refus d’une vérité violente qui construisent le terreau de la haine, confortent le racisme, en nous plongeant dans une profonde ignorance dès le plus jeune âge.
Je saisirai les autorités nationales pour rétablir la liberté d’expression de ces textes lus par Colette Césaire.
Serge Letchimy-Député de Martinique 

 

Aujourd’hui, il nous reste à espérer que le député soit entendu. Que Colette Césaire continue à nous donner fidèlement rendez-vous chaque dimanche. Que selon ses propres paroles, elle continue de  « transmettre à nos enfants  – à tous les enfants — les grands textes de notre poésie afro-caribéenne, afin que, dès leur plus jeune âge, toutes et tous soient éclairé(e)s et reçoivent  les Armes Miraculeuses qui feront de chacun(e) un être humain digne, fier et fraternel. »

Que pour notre plus grand bonheur, sa voix généreuse confie inlassablement à la toile la poésie, la force et l’engagement de nos plus  grands auteurs !