Une réalité systémique que de nouveaux témoignages dévoilent
— Par Sarha Fauré —
Les violences sexistes et sexuelles au sein des forces de l’ordre en France prennent une ampleur que de nombreuses victimes, associations et journalistes s’efforcent depuis plusieurs années de rendre visible. Une nouvelle enquête, publiée le 15 novembre 2025 par le collectif féministe NousToutes en collaboration avec Disclose, apporte une pierre supplémentaire à l’édifice, révélant une série de témoignages glaçants et un système qui, selon les militantes, demeure profondément marqué par la culture de l’impunité.
207 témoignages en quatre mois : une parole qui s’ouvre malgré la peur
Entre juin et octobre 2025, un questionnaire en ligne a permis de recueillir 207 témoignages de victimes, de proches ou de témoins. Le collectif précise d’emblée que son objectif n’est pas de produire une analyse statistique représentative, mais d’offrir une photographie qualitative des violences commises par des policiers, des gendarmes et des agents municipaux.
Malgré une diffusion limitée, les retours sont nombreux et convergents. Une majorité écrasante des répondant·es s’exprime en tant que victimes directes, souvent après des mois ou des années de silence. Beaucoup expliquent ne s’être jamais senties en sécurité pour dénoncer ce qu’elles avaient subi, que ce soit par crainte de représailles ou par méfiance envers les institutions chargées de recueillir leur parole.
Les faits relatés couvrent un large spectre : attouchements lors de fouilles, remarques humiliantes lors de dépôts de plainte, propositions sexuelles de la part d’agents en uniforme, exhibitionnisme, pressions psychologiques ou menaces voilées. Certaines victimes racontent avoir été accusées d’inventer leur histoire ou de vouloir « nuire à la carrière » de l’agent mis en cause.
Des victimes souvent issues de minorités, et des violences profondément intersectionnelles
Les témoignages montrent de manière répétée que les victimes appartiennent fréquemment à des groupes déjà vulnérabilisés. Selon l’enquête, plus d’une victime sur trois est racisée, transgenre, précaire, sans papiers, travailleuse du sexe, handicapée, grosse ou lesbienne.
Les violences ne se limitent donc pas à un abus de pouvoir individuel : elles révèlent un mécanisme où sexisme, racisme, LGBTQ-phobie et classisme se combinent.
Une personne raconte par exemple qu’un policier homme, lors d’un contrôle, a touché son entrejambe pour « vérifier son identité de genre », alors même qu’une agente avait déjà procédé à une vérification et confirmé les informations sur sa carte d’identité. Ce type de témoignage illustre le caractère humiliant, discriminatoire et violent de certains contrôles.
Un profil d’agresseurs qui met en cause les structures institutionnelles
Dans près de neuf cas sur dix, les auteurs identifiés sont des hommes. La plupart travaillent au sein de la police nationale (près de la moitié), les autres relevant de la gendarmerie ou des polices municipales.
Plus inquiétant : près de 42 % des violences rapportées surviennent au moment même où les victimes cherchent de l’aide. Beaucoup d’agressions se passent lors d’un dépôt de plainte, notamment pour violences conjugales ou sexuelles. Les moments où la personne est le plus fragile — lorsqu’elle demande protection — deviennent des opportunités pour l’agresseur d’exercer un pouvoir supplémentaire.
Pour Maëlle Noir, militante de NousToutes, la véritable ampleur du phénomène reste largement invisible : « La peur de l’uniforme, de l’autorité et des armes empêche un nombre incalculable de victimes de parler. Ce que nous observons n’est sans doute qu’une petite partie de ce qui se produit réellement. »
Une réalité confirmée par des enquêtes journalistiques au long cours
Les résultats de ce questionnaire militant font écho à des investigations de grande ampleur publiées récemment. En juin 2025, Disclose, en partenariat avec L’Œil du 20 heures (France 2), révélait que 429 actes de violences sexuelles avaient été commis par des policiers ou des gendarmes entre 2012 et 2025, impliquant 215 fonctionnaires.
Ce travail reposait sur une décennie de documentation : procédures judiciaires, archives de presse, témoignages de victimes, entretiens avec des avocats et des membres des forces de l’ordre.
Les conclusions étaient déjà accablantes :
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76 % des victimes étaient des femmes,
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18 % des victimes étaient mineures,
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et fait troublant, près de la moitié des victimes étaient elles-mêmes policières ou gendarmes.
Les auteurs utilisaient parfois leur accès aux fichiers internes pour retrouver les victimes, ou invoquaient leur statut pour étouffer la parole. Certaines violences avaient lieu en garde à vue, lors d’un contrôle, en cellule, ou au tribunal — autant de situations où la victime est en situation de dépendance totale vis-à-vis de l’institution.
Lorsque les victimes étaient des hommes ou des adolescents racisés, les violences prenaient souvent une coloration explicitement raciste, intégrée dans un contexte plus large de répression.
Des sanctions encore trop faibles malgré la gravité des faits
Face à ces révélations répétées, les autorités police et gendarmerie affirment ouvrir des enquêtes et sanctionner les auteurs lorsque les faits sont étayés. Pourtant, les dossiers transmis à la presse montrent une réalité autre :
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très peu de sanctions proportionnées,
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des mutations ou avertissements en guise de réponse,
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des procédures internes qui traînent ou s’arrêtent faute de preuves,
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des classements sans suite malgré des témoignages concordants.
Cette déconnexion entre les discours officiels et le vécu des victimes nourrit la perception — largement partagée — d’une institution qui protège davantage ses membres que les personnes qu’elle est censée accompagner.
Un appel pressant à repenser les mécanismes de contrôle
Pour NousToutes, les témoignages recueillis ne sont pas seulement des récits individuels : ils montrent un système où les violences sexistes et sexuelles s’inscrivent dans un contexte de domination structurelle. Le collectif appelle à :
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la création d’organes indépendants pour traiter les plaintes contre les forces de l’ordre ;
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une formation renforcée et obligatoire sur les violences sexuelles ;
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la fin de la culture du silence et de l’entre-soi corps d’élite ;
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un suivi judiciaire rigoureux et transparent.
Au-delà du chiffre brut, ce sont les situations décrites — et la détresse souvent palpable des victimes — qui imposent une réflexion collective. Ces violences, loin d’être des dérapages isolés, semblent révélatrices d’un fonctionnement institutionnel où le pouvoir de l’uniforme peut devenir un outil de domination, surtout lorsque la victime appartient à un groupe marginalisé.
Une conclusion qui interroge la société tout entière
L’ensemble des enquêtes et témoignages dessine une réalité profondément préoccupante. Il apparaît désormais difficile de considérer ces violences comme de simples exceptions. Elles invitent à revoir en profondeur les mécanismes de contrôle, la formation et la responsabilisation des agents armés d’une autorité considérable.
Pour les associations, les journalistes, les victimes et leurs proches, la priorité est claire : faire en sorte que la peur change enfin de camp.
