Violences conjugales: entre garde alternée et coups reçus, la place de l’enfant en question

Paris – Alors qu’il est de plus en plus admis que les enfants sont victimes des violences conjugales dont ils sont témoins, leur place entre les deux parents lorsque ceux-ci se séparent est pointée du doigt par les professionnels de la lutte contre ces violences.

« Quand j’ai quitté mon compagnon, j’avais très peur de priver ma fille d’un père« : Raphaëlle, mère de deux enfants dont une fille avec un père qui s’est révélé violent, a d’abord voulu, pour elle, rester près de celui qui l’avait maltraitée. 

« Je vivais dans la peur, mais je ne voulais pas briser le lien père-fille« , regrette aujourd’hui Raphaëlle. « Je pensais que c’était important pour une fille de voir son papa« . 

« Je sais très bien que, si je coupe les liens, ça va se retourner contre moi« , estime pour sa part Valérie, mère de deux enfants dont elle partage l’autorité parentale avec son ex-mari violent. « On me dit souvent +De toute façon, ça reste leur père+« . (Les prénoms de Raphaëlle et de Valérie ont été modifiés, ndlr) 

Sauf dans de rares cas – ordonnance de protection ou retrait de l’autorité parentale -, le parent violent garde le droit de savoir où habite son ex-compagne, puisqu’il doit savoir où habitent ses enfants. 

 

Depuis la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfance, il est inscrit dans le Code civil qu’un parent « peut se voir retirer totalement l’autorité parentale« , « notamment lorsque l’enfant est témoin de pressions ou de violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par l’un des parents sur la personne de l’autre« . 

Selon une étude de l’Observatoire des violences envers les femmes en Seine-Saint-Denis, organisme pionnier en France, les enfants sont co-victimes des violences dans le couple dans 41% des cas et, parmi ceux-ci, 84,5% sont témoins des violences subies par l’un de leurs parents. 

– « Une aberration » – 

Pourtant, « beaucoup de juges des affaires familiales (JAF) font un clivage entre la relation conjugale et la relation parentale, comme si les auteurs de violences ne s’en prenaient qu’à leur conjoint« , regrette Karen Sadlier, psychologue spécialiste de la prise en charge des enfants et adolescents. 

« C’est une aberration » qu’un parent violent conserve l’autorité parentale, juge Martine Brousse, présidente de l’association La voix de l’enfant. « Ce n’est pas parce qu’un homme et une femme font un enfant qu’ils deviennent père et mère« , estime-t-elle. 

Pour l’enfant, les conséquences des violences conjugales sont multiples: « psychotraumatisme, difficultés de concentration et d’attention, troubles du sommeil et de l’alimentation…« , énumère Ernestine Ronai, responsable de l’Observatoire des violences envers les femmes en Seine-Saint-Denis.  

Dans de nombreux cas, pourtant, le parent violent conserve au moins un droit de visite, voire la garde alternée de ses enfants. « On a vu des enfants se cacher sous la table pour ne pas voir leur père« , se souvient Ernestine Ronai. 

L’enfant est parfois utilisé par le parent violent comme prétexte, voire comme appât. « Souvent, les pères violents veulent garder un droit de visite pour revoir la mère, lui faire peur et la remettre sous emprise« , estime Mme Ronai. 

– L’enfant, « un enjeu » – 

Une volonté d' »emprise » qui, parfois, va jusqu’à la violence sur les enfants eux-mêmes. La fille de Raphaëlle a ainsi rapporté, l’année passée, des abus sexuels commis par son père. 

« L’enfant devient un enjeu« , estime aujourd’hui Raphaëlle. « Quoi de mieux pour faire souffrir une femme que de s’en prendre à ce qu’elle a de plus cher ? » 

Pour mettre fin à ces situations, les experts spécialistes des violences conjugales proposent la même chose: que le rôle du parent violent soit remis en question. « En cas de violences, la garde est à proscrire totalement« , estime Ernestine Ronai. 

Karen Sadlier appelle pour sa part à « sortir d’une logique unique de la coparentalité quand on est face a un adulte violent« , logique qui rend le retrait de l’autorité parentale si rare. « On demande que les enfants soient traités comme des victimes des violences conjugales, pas comme des témoins« , complète Martine Brousse. 

En 2018, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, 21 enfants et 121 femmes ont été tués lors de violences au sein du couple. 

Source : AFP et Lexpress.fr