Venezuela: gardes du corps, entre sécurité et signe extérieur de richesse

Caracas – Un homme brandit théâtralement un fusil tandis qu’un fourgon blindé s’éloigne à toute allure, une scène courante au Venezuela où avoir des gardes du corps est désormais moins un impératif sécuritaire qu’un signe extérieur de richesse d’une élite émergente.

Le convoi de deux 4×4 noirs blindés aux vitres teintées, sans plaques d’immatriculation, se fraie un chemin dans les quartiers huppés de la capitale, respectant rarement les feux tricolores ou les stops, utilisant des sirènes et des phares imitant les gyrophares de la police. Une moto de grosse cylindrée accompagne parfois le convoi. 

À bord ? « quelqu’un d’important« , un « VIP » – selon l’argot du métier – qui peut être un fonctionnaire, un homme d’affaires ou un « enchufado » (branché), comme on appelle familièrement une personne qui a fait fortune grâce à ses relations d’affaires avec le pouvoir. 

Si la grande période des enlèvements en série et des braquages récurrents est passée, le Venezuela reste l’un des pays les plus violents au monde avec des attaques à main armée, le phénomène des gangs, et d’immenses zones de non-droit. 

Néanmoins, « l’escorte n’est plus une nécessité de sécurité, c’est plutôt un besoin de statut« , explique à l’AFP Javier Gorriño, criminologue et directeur de la Sécurité citoyenne à El Hatillo, l’une des cinq municipalités de Caracas.

« Plus vous avez de gardes du corps, plus votre statut économique est élevé, plus votre statut politique est élevé« , souligne-t-il. 

Il n’est donc pas rare de voir des dizaines de gardes du corps attendant près de véhicules sur les parkings des centres commerciaux ou dans la rue près de restaurants huppés. 

– Aubaine pour les policiers – 

D’autres accompagnent leur « protégé » dans les allées des magasins ou des salons de coiffure. Ils ont parfois les bras chargés des sacs de courses de leur client ou cliente. 

Il n’y a pas de chiffres sur le nombre de gardes du corps, mais le port d’armes à feu pour les civils est théoriquement interdit depuis 2019.  

Cette interdiction a constitué une véritable aubaine pour de nombreux policiers aux maigres salaires, beaucoup travaillant comme gardes du corps sur leur temps libre en utilisant leur pistolet de service. 

« Un policier a une accréditation, un permis de port d’arme« , souligne M. Gorriño, il peut ainsi « gagner six, sept fois plus que son salaire« . 

« Je viens d’une famille de policiers, j’ai vu que je pouvais le faire et ça rapporte plus qu’une garde (d’infirmier) de 24h« , affirme Angel Pinto, 21 ans, infirmier et garde du corps occasionnel.  

Il s’est formé et a déjà travaillé pour plusieurs personnalités, mais n’étant pas policier il ne porte pas d’armes. 

Sarkis Sako, qui travaille dans le secteur depuis 14 ans, explique qu’un garde du corps peut gagner entre 300 et 500 dollars par mois alors que le salaire des policiers a longtemps été inférieur à 30 dollars (aujourd’hui 115 dollars après une augmentation de 1.700% l’année dernière). 

Des entreprises proposent des « packages » globaux avec en plus des véhicules blindés ou des services d’intervention d’urgence. 

Sarkis Sako souligne toutefois que le travail de policier est « totalement différent » de celui d’un garde du corps, qui « doit être prêt à donner sa vie pour son client« . 

C’est pourquoi, insiste-t-il, « la prévention et l’analyse » sont essentielles. « Il ne s’agit pas de porter les courses, laver le linge ou de faire le coursier« , dit-il. 

« Si vous avez besoin d’un majordome, c’est autre chose« , raille-t-il à l’attention des méthodes de certaines compagnies de sécurité. 

« Si nous pouvons éviter un conflit, c’est beaucoup mieux« , dit-il, soulignant que les gardes du corps doivent aussi apaiser d’éventuels différends. 

Source : AFP / RTL