Une mise en œuvre du Budget 2026 qui devrait être semée d’embûches pour la Guadeloupe ?

— Par Jean-Marie Nol —

Alors que le gouvernement français s’apprête à tailler à la hache dans les dépenses publiques pour combler un déficit abyssal, c’est une fois de plus l’outre-mer, et en particulier la Guadeloupe, qui risque de faire les frais de ce recentrage budgétaire brutal. Le gouvernement de François Bayrou se trouve aujourd’hui confronté à un véritable casse-tête budgétaire : réussir à bâtir une loi de finances pour 2026 en réalisant 40 milliards d’euros d’économies, tout en évitant une hausse généralisée des impôts. Ce défi colossal, présenté comme un « Himalaya budgétaire » par l’exécutif, s’inscrit dans un contexte de tension extrême sur les finances publiques, avec une dette culminant à 113 % du PIB, une inflation persistante, et une croissance molle. Conscient du risque politique et social majeur que représente une telle entreprise, Matignon entend jouer la carte de la vérité et de la transparence pour légitimer une austérité dont on ne veut pas prononcer le nom. Dès le printemps, un comité d’alerte budgétaire a été mis en place, réunissant élus et partenaires sociaux afin d’anticiper les résistances. De plus, une méthode budgétaire dite « à base zéro » a été imposée à l’ensemble des ministères : chaque euro dépensé devra désormais être justifié. Cette rigueur inédite, voire radicale, s’inscrit dans une volonté de rupture avec les habitudes d’une gestion publique jugée trop laxiste. Le gouvernement espère, en concentrant ses annonces dans un plan dévoilé d’un seul bloc avant le 11 juillet, désamorcer les critiques sectorielles et éviter la contagion des mécontentements. Le plan repose sur quatre piliers.

Le premier vise la réduction des dépenses de l’État : gel des budgets hors Défense, non-remplacement de certains départs à la retraite, allongement du délai de carence pour les arrêts maladie dans la fonction publique, et gel du point d’indice. À cela s’ajoute une vaste réforme des agences publiques, dont un tiers pourrait être supprimé ou fusionné. Ce chantier devrait permettre de dégager près de 14 milliards d’euros.

Le deuxième pilier concerne les collectivités territoriales. Une « année blanche » est envisagée pour 2026, avec un gel des dotations de l’État, ce qui reviendrait à une baisse en volume estimée à 8 milliards. Les collectivités seront invitées à mutualiser leurs services, à rationaliser leurs dépenses, et à signer de nouveaux contrats de gestion budgétaire. Un tel effort risque de peser lourdement sur les finances locales, et surtout sur les services publics de proximité, au risque d’alimenter une grogne diffuse mais profonde sur l’insuffisance et l’assèchement de la commande publique dans les territoires d’outre-mer.

Le troisième levier est celui des dépenses sociales. Il s’agit ici de ralentir la progression de l’ONDAM (Objectif national des dépenses d’assurance maladie) en favorisant la chirurgie ambulatoire, en renforçant la responsabilisation des patients, et en révisant les modalités d’indexation des retraites et des prestations sociales. Ce pilier est le plus ambitieux et potentiellement le plus sensible : jusqu’à 18 milliards d’euros d’économies sont visés, mais au prix de mesures impopulaires qui pourraient toucher des publics déjà fragilisés.

Enfin, sur le plan des recettes, le gouvernement affiche une ligne rouge : pas de hausse généralisée des impôts. Toutefois, plusieurs pistes ciblées sont explorées : reconduction de la contribution exceptionnelle sur les très hauts revenus, réduction de certaines niches fiscales, intensification de la lutte contre la fraude et mise en œuvre d’une fiscalité écologique renforcée. La question d’un relèvement du taux normal de TVA – la fameuse TVA sociale – reste sur la table, bien que politiquement risquée. Sa simple évocation suffit à réveiller les fractures de la société française.Mais ce plan, si techniquement cohérent soit-il, reste politiquement fragile. À l’Assemblée, où le gouvernement n’a pas de majorité absolue, les soutiens sont rares et les oppositions vives. Notamment en Guadeloupe les oppositions pourraient se faire sentir, car la rigueur devrait s’installer en raison de l’impact sur les collectivités locales.
En réalité, ce choix stratégique de réduction des dépenses plutôt que de hausse fiscale traduit un pari risqué : celui de restaurer la crédibilité budgétaire de la France sans déclencher une crise sociale majeure. Mais le chemin est étroit, les résistances nombreuses, et les marges de manœuvre presque nulles. Ce moment de vérité annoncé pourrait bien se transformer en moment de bascule. Car au-delà des chiffres, ce sont les priorités de la nation, les équilibres démocratiques, et le contrat social lui-même qui sont mis à l’épreuve.Derrière les chiffres froids d’un déficit public culminant à près de 6 % du PIB, d’une dette qui flirte avec les 3 300 milliards d’euros, se dessine une stratégie aux contours familiers : préserver les grands équilibres macroéconomiques en déléguant l’essentiel de l’effort aux collectivités locales, considérées comme des variables d’ajustement commodes, faute de courage politique pour mener des réformes structurelles à l’échelle de l’État central. Dans ce grand jeu comptable imposé par Bruxelles et dicté par les marchés, les régions ultramarines apparaissent comme des cibles d’autant plus faciles qu’elles sont éloignées, dépendantes, et trop souvent négligées dans les arbitrages nationaux.

Le plan présenté par François Bayrou, censé ramener le déficit public à 4,6 % du PIB en 2026, repose sur 40 milliards d’euros d’économies. Il s’appuie sur une architecture en quatre piliers dont deux concernent directement, et lourdement, les collectivités locales : un gel des dotations étatiques et une refonte de leur cadre de dépenses. Pour la Guadeloupe, cela signifie concrètement une année blanche en termes de transferts budgétaires, et une pression immédiate sur des services publics déjà exsangues. Comment entretenir les réseaux routiers, rénover les écoles, maintenir l’éclairage public ou développer les transports collectifs quand les dotations se figent, et que l’État se désengage ? Comment absorber un choc budgétaire de cette ampleur dans un territoire déjà confronté à une crise sociale chronique, à une pauvreté structurelle, à un chômage endémique, à une jeunesse désœuvrée et à des infrastructures vieillissantes ?

Le raisonnement gouvernemental, fondé sur l’idée que les collectivités locales bénéficient largement de l’argent de l’État et doivent donc « faire leur part », dissimule mal une logique de transfert de responsabilités sans transfert de moyens. Certes, la dépense publique en France est élevée — 57 % du PIB — mais c’est un choix de société qui reflète un modèle social protecteur. Réduire cette dépense sans toucher aux administrations centrales ni aux niches fiscales les plus injustes, tout en sanctuarisant les classes moyennes et les entreprises, revient à creuser un peu plus le fossé entre les territoires et l’État. En Guadeloupe, ce choix se traduira non pas par une rationalisation douce mais par une véritable cure d’austérité imposée, sans marges de manœuvre locale.

Derrière l’écran de fumée des termes technocratiques — « base zéro », « mutualisation des services », « responsabilisation des dépenses sociales » — se cache une réalité politique : le gouvernement mise sur la discipline budgétaire des collectivités pour afficher un volontarisme financier à peu de frais. La réforme annoncée des agences d’État, la maîtrise de l’ONDAM, le gel du point d’indice ou la non-revalorisation des prestations sociales pèseront certes sur l’ensemble du territoire, mais l’outre-mer en ressentira les effets de manière disproportionnée. Là où chaque euro compte, là où chaque service public constitue souvent le dernier rempart contre l’abandon, la moindre coupe devient une menace directe sur la cohésion sociale de la Guadeloupe .

Et pourtant, dans les discours parisiens, on persiste à refuser le mot « austérité ». On préfère parler d’« efforts », de « rationalisation », voire de « dépenses plus efficaces ». Mais quel est le sens d’une efficacité comptable qui fragilise les maillons les plus faibles de la République ? Comment justifier la diminution des dotations entraînant des suppression de postes dans les collectivités alors que ce sont elles qui assurent, au quotidien, l’entretien des crèches, la gestion de l’eau, des déchets, de l’urbanisme, de la culture et de l’action sociale ? Dans une Guadeloupe marquée par des décennies de désengagement progressif, où le tissu associatif supplée souvent les défaillances institutionnelles, ces coupes budgétaires ne sont pas anodines : elles signent une rupture avec le principe d’égalité territoriale.

Pire, en choisissant d’épargner la fiscalité nationale et de s’en remettre à une potentielle croissance encore hypothétique, le gouvernement expose les territoires à un double risque. D’un côté, les collectivités devront soit augmenter la fiscalité locale — au risque de provoquer la colère de populations déjà précaires — soit réduire drastiquement leurs prestations, ce qui accentuera le sentiment d’abandon. De l’autre, en misant sur un rebond économique incertain, l’État prend le pari que les régions parviendront à compenser d’elles-mêmes les manques à gagner à travers une autonomie politique . Un pari particulièrement risqué en outre-mer, où les ressorts de l’économie demeurent fragiles, fortement dépendants des commandes publiques, et entravés par des freins structurels non résolus.

Ce que cette politique budgétaire traduit au fond, c’est une forme de recentralisation rampante, habillée sous les atours de la rigueur. En demandant aux élus locaux d’assumer une charge budgétaire que l’État refuse de porter, tout en les maintenant dans une dépendance financière quasi absolue, on nie leur volonté d’autonomie en ne donnant accès à aucun moyen financier supplémentaire, on sape leur légitimité, et on les condamne à l’impuissance. Le dialogue entre l’État et les territoires devient alors un monologue autoritaire, où les décisions tombent d’en haut sans considération pour les spécificités locales.

L’enjeu ne se limite plus au débat technique sur les finances publiques. Il s’agit désormais de savoir si les collectivités territoriales, et notamment celles d’outre-mer, pourront encore jouer leur rôle de relais de la République, ou si elles seront réduites à des guichets en faillite avec l’autonomie , incapables de répondre aux attentes de leurs populations. À force de traiter les collectivités comme des centres de coûts plutôt que comme des leviers d’action publique, on prépare un terrain fertile pour la défiance démocratique, les crispations identitaires et les revendications sociales .

La Guadeloupe, comme d’autres territoires ultramarins, n’est pas une ligne budgétaire sur un tableur. Elle est un territoire avec ses contraintes, ses urgences, ses espoirs. En la prenant pour cible d’une austérité masquée, l’État ne fait pas que rogner sur des dépenses : il prend le risque de rompre un pacte déjà fragilisé entre la nation et ses périphéries. Si la rigueur doit s’appliquer, elle doit être juste, équilibrée, et surtout concertée. Sinon, ce ne sont pas seulement les chiffres qui seront en rouge, mais aussi la paix sociale et l’absence totale de confiance dans une éventuelle évolution institutionnelle.

Jean Marie Nol économiste