Un stage d’écriture avec Lyonel Trouillot

— Par Selim Lander —

L’association Balisaille a organisé à la médiathèque de Saint-Esprit un stage d’écriture poétique animé par Lionel Trouillot, écrivain haïtien internationalement connu dont l’œuvre multiforme – romans, poèmes, essais – a été couronnée de plusieurs prix.

Une vingtaine de participants se sont retrouvés tous les soirs de semaine ou presque, plus un samedi, du 18 au 28 janvier, bravant courageusement pour ceux qui se trouvaient éloignés de Saint-Esprit les difficultés de la circulation. Une écrasante majorité de femmes parmi les participants, les hommes étant sans doute moins nombreux de nos jours à posséder à la fois l’envie et la capacité de s’exprimer avec des mots et ceux qui néanmoins le sont étant davantage attirés par d’autres formes que la poésie au sens strict, terme quelque peu suranné à leurs yeux. La poésie qui pourtant, de nos jours, n’a plus vraiment de règle.

On pouvait le vérifier en assistant ce samedi 28 janvier, jour de clôture du stage, à la « restitution » orale des « travaux » des participants, travaux parmi lesquels l’on n’a repéré aucun texte conforme à ce que l’on entendait par « poésie » à l’époque où les vieilles personnes comme l’auteur de ce compte-rendu fréquentaient les bancs des écoles. Pas de « Rodrigue as-tu du cœur ? », ni de « Fille de Minos et de Pasiphaé », pas même d’« Aboli bibelot d’inanité sonore ». Bref, on a, comme l’on devait s’y attendre, entendu de la poésie d’aujourd’hui, libérée des règles. Et quoi de plus normal que de vivre avec son temps. Seuls quelques rares dandys démodés s’évertuent encore à rimer et compter les pieds (de leurs vers).

La poésie a été longtemps d’abord un exercice destiné à mettre d’abord en avant la virtuosité des auteurs, à commencer par les troubadours et leurs poèmes unisonans (les mêmes rimes se répétant exactement dans le même ordre de cobla [strophe] en cobla), sans parler du sommet de la difficulté en la matière, la sextine (six coblas de six vers chacune dont chacun se termine par un mot rime différent qui se retrouvera dans toutes les autres coblas, sans jamais occuper la même place !). Si l’on opposait jadis, d’une manière un peu caricaturale, poésie et prose en faisant valoir que dans la première le signifiant l’emportait sur le signifié, et l’inverse dans la seconde, cette distinction, sans être complètement périmée, est encore moins vraie de nos jours, au risque pour la poésie contemporaine… de la prose !

Pour autant que nous ayons pu en juger en écoutant les textes ou extraits de textes lus en public, les participants ont su éviter cet écueil. On se fera une première idée, certes très partielle, de la qualité des « productions » du stage avec un bref extrait des « Derniers Mots » de Sylvia Saeba, à la suite.

On peut voir sur la photo de gauche à droite les trois lectrices : la même Sylvia Saeba, Yawa, Carène Duquesnay. Esther Mompoint, à la guitare, offrait un contrepoint musical de même que Nicolas Pierrel, à la kora.

 

Derniers mots

Par Sylvia SAEBA

Barrez-vous.

Éloignez-vous
-des charognes qui grattent prennent jettent
-des sourires serpents qui sucent votre sang jusqu’à la moelle d’os griji

Laissez joncher vos débris solitude. Ne recollez rien.
Laissez pousser l’inconnu. La nouvelle chair.
Amidonnez vos blessures et les plaies aléviré.
Tranchez vos certitudes.

Décalcinez les barrières dressées par vos toujours-pire.

Taillez vos ombres. Elles sont tenaces. Elles s’accrocheront à vos veines comme cordon mal coupé. Buvez jusqu’à la croûte les silences névrosés — avant-chant de langues jamais encore parlées.

Tous droits réservés @sylviasaeba