Un nouveau risque majeur pour les banques antillaises au cœur de la tempête sanitaire et économique !

— Par Jean-Marie Nol, économiste et ancien directeur de banque —

Déjà fragilisées avant la crise du coronavirus par la mutation du secteur bancaire, les banques locales de Guadeloupe et Martinique voient aujourd’hui leurs performances se dégrader fortement. Une situation qui pourrait avoir de lourdes conséquences pour la machine économique Antillaise.
Les établissements bancaires de la Guadeloupe et la Martinique font aujourd’hui face à de multiples bouleversements. Entre des revenus qui stagnent et le développement de la concurrence en ligne, les banques des Antilles françaises doivent évoluer à la transformation de l’économie des deux îles, comme l’indique la dernière étude de l’Institut d’émission des départements d’outre-mer (IEDOM).
La crise sanitaire aura un impact simultané sur toute la sphère économique de la Guadeloupe et la Martinique.

Quels sont les nouveaux risques qui planent sur les banques , sous la pression du digital et du Covid 19 ?

L’IEDOM estimait fin juillet que l’activité économique tant en Guadeloupe qu’en Martinique avait rebondit après le confinement mais la perte d’activité économique liée à la crise sanitaire serait de l’ordre de 30%%. Le PIB diminuerait de 9% pour l’année, 2020. Dans les seules branches marchandes, la perte d’activité économique serait de 35%. Dans la construction, la perte serait de l’ordre de 23%, C’est autant de chiffre d’affaire non réalisé pour ces entreprises, et donc de charges non couvertes.

Ce fort ralentissement économique s’ajoute à un problème ancien, qui est celui des retards de paiement des collectivités locales de Guadeloupe et Martinique.
Le risque réside dans la fragilisation des entreprises locales et l’existence d’une bulle immobilière, avec des répercussions sur les banques. Les anticipations suggèrent déjà une forte augmentation des défauts des emprunteurs, ce qui pourrait avoir des répercussions rapidement négatives au bilan des banques. Le risque d’insolvabilité des banques dépend, en effet, à la fois, du niveau des pertes enregistrées par les banques à leur actif, et de leur capacité à les absorber, donc du niveau de leurs fonds propres.
La crise du coronavirus touche beaucoup de secteurs économiques, comme le commerce, le bâtiment, l’industrie, l’artisanat, les voyages, le tourisme… Et les banques se situent en bout de chaîne : avec la baisse du chiffre d’affaire des entreprises, et l’augmentation prévisible du chômage, celles-ci peuvent subir des pertes. Certaines peuvent donc faire faillite, ce qui engendrera de nouvelles pertes chez les banques, à cause des crédits non remboursés. Il est donc naturel pour les banques d’être touchées a posteriori dans le bilan bancaire.
Les perspectives économiques sombres pour l’année à venir suggèrent un risque substantiel de contagion de la crise économique actuelle au secteur bancaire. Par ailleurs, en réalisant un calcul simple, on constate qu’il suffirait que 21 % des prêts ne soient pas remboursés pour épuiser totalement les fonds propres des banques (capital et réserve).
Le risque systémique est, par définition, toujours là. Si une grande banque de la France hexagonale fait faillite, il peut y avoir une faillite en chaîne de tout le secteur bancaire aux Antilles. Se pose alors le problème lié au fait que lorsque le secteur bancaire est en danger, les banques cessent de prêter (le « credit crunch »), ce qui risque de bloquer l’ensemble de l’économie Antillaise.

À la Guadeloupe comme à la Martinique, les revenus des établissements bancaires stagnent déjà depuis dix ans. En effet, le niveau très bas des taux d’intérêt compresse les marges rendant leur principale activité, le crédit, de moins en moins rentable. Le plafonnement des frais bancaires sur la clientèle fragile, auquel les banques se sont engagées dernièrement, a réduit également le produit net bancaire en 2019.
C’est dans ce contexte délétère que nous allons assister à une restructuration en profondeur des réseaux bancaires en Guadeloupe et en Martinique. Déjà, la société générale de banque aux Antilles et la BDAF ont disparu du paysage bancaire aux Antilles.
Ainsi, le modèle économique des banques est tenu d’évoluer avec la recherche de nouvelles sources de revenus, passant par la diversification des produits. La commercialisation de produits d’assurance, qui donne lieu aux versements de commissions,
apparaît notamment comme un relais de croissance de revenu.

Parallèlement, avec la digitalisation de l’économie, le paysage concurrentiel s’élargit. Les banques traditionnelles étaient déjà concurrencées par les banques en ligne, mais la dématérialisation est aujourd’hui plus avancée avec les néobanques comme par exemple celle de l’opérateur Orange.

L’attractivité de ces dernières repose sur des pratiques tarifaires très compétitives. Face à cette concurrence, le principal défi des acteurs bancaires traditionnels est de rester le partenaire financier de référence vis-à-vis de leur client.

Cela implique de garder la main sur les services de paiement et de banque au quotidien, mais aussi de disposer d’un large éventail de produits et de services pour accompagner leur client à toutes les étapes de son cycle de vie.

Il s’agit aussi de répondre aux nouvelles attentes des consommateurs, d’une banque plus moderne, plus accessible, plus novatrice. Ainsi, les établissements évoluent en développant des applications mobiles et en repensant les parcours client.

Vers plus de digitalisation dans les banques Antillaises !

La pérennité des banques en Guadeloupe et Martinique est menacé par le coronavirus et la montée du risque crédit. Le réseau d’agences bancaires se réduit légèrement aux Antilles ces dernières années et on assiste à l’émergence de nouveaux concepts d’agences plus digitales et plus automatisées à l’exemple du crédit agricole.

Si le digital peut permettre de réduire les coûts, cette transformation nécessite des investissements importants, notamment dans les systèmes d’information et dans la sécurisation des données. La révolution numérique et l’intelligence artificielle touchent in fine l’ensemble des métiers bancaires, permettant des processus d’automatisation de tâches. Cela peut se traduire également par la centralisation au niveau de l’hexagone d’activités de backoffice autrefois réalisées localement.

C’est pourquoi, 20 % des métiers de la banque vont disparaître aux Antilles à l’instar de la France hexagonale, tel est le constat dressé par le cabinet de conseil HTS Consulting et l’Observatoire des métiers de la banque.
Dans le secteur bancaire, les angoisses sont devenues très fortes. Il y a une profonde inquiétude sur la situation sociale, sur l’emploi, sur les conditions plus difficiles avec la digitalisation et l’intelligence artificielle.
Selon les prévisions du cabinet de conseil HTS Consulting et l’Observatoire des métiers de la banque , 20 % des effectifs du secteur vont voir leur métier disparaître d’ici à 2025 et plus de 50 % vont le voir profondément évoluer. Les transformations en cours dans l’industrie bancaire sont rapides et profondes et elles vont encore s’accélérer. Le nouvel environnement digital, les évolutions technologiques, les nouvelles attentes des clients depuis la crise du coronavirus vont obliger à aller vite dans la restructuration de leurs activités. Ainsi pour accompagner les mutations du secteur bancaire, déjà BNP Paribas teste le conseiller bancaire payant.

Le groupe bancaire mène un projet pilote dans une trentaine d’agences, consistant à facturer l’accès à un conseiller bancaire dédié via un abonnement de 12 euros par mois. Pour générer de nouveaux revenus et se distinguer des offres bancaires en ligne, les réseaux sont contraints de trouver de nouvelles formules.

Pour le groupe, l’intérêt d’une telle offre est clair : les revenus des banques de détail se trouvent sous pression – à la fois en raison de la faiblesse des taux de crédit et de l’encadrement croissant des frais et commissions – poussant les établissements à développer de nouvelles sources de revenus ou à limiter les coûts.

Les Caisses d’Épargne ont ainsi envisagé en début d’année de tester le statut de « banquier auto-entrepreneur » dans deux régions, une première en France et qui devrait se décliner bientôt aux Antilles.
C’est un véritable programme novateur pour faire sortir les banques françaises de la crise du Covid-19 dans le meilleur état possible.

Autant d’initiatives qui vont constituer une véritable épreuve du feu pour les banques et sera l’occasion de vérifier si elles vont permettre d’élever suffisamment la résistance des banques présentes aux Antilles, aux crises sanitaire, économique et sociale.

Depuis les origines du système bancaire aux Antilles françaises, les banques locales ont dû s’adapter aux évolutions du marché et à la transformation de l’économie des deux îles. Espérons qu’elles sauront répondre aux enjeux de la banque de demain, pour maintenir l’existence d’un système bancaire solide au bénéfice de leur clientèle et de l’économie locale.

« A pa jiwèt ka touné, sé van « … (Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent) Il faut savoir s’adapter.

Jean-Marie Nol économiste et ancien directeur de banque.