Un nouveau directeur pour le Festival d’Avignon

L’actuel directeur, Olivier Py, s’apprête à tirer sa révérence. À partir de septembre 2022, après huit ans de bons et loyaux services, il sera remplacé par Tiago Rodrigues, a annoncé ce lundi 5 juillet la Ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, lors d’une conférence de presse à Avignon, ajoutant que le metteur en scène portugais avait le plein accord des entités impliquées dans la décision : le Gouvernement, la Mairie d’Avignon et l’Administration du festival. « Tiago Rodrigues vient d’être nommé et ça me remplit le cœur de joie », a réagi Olivier Py. Cette nomination intervient alors que s’ouvre la 75e édition du célèbre Festival. Ne serait-ce que parce qu’il est un homme du partage, de la rencontre, de la main tendue à tout ce qui est autre, la nomination de Tiago Rodrigues, premier étranger élu à cette fonction, est une nouvelle heureuse. Un choix qui n’est pas vraiment une surprise. Depuis plusieurs jours, la rumeur le donnait favori face à ses trois concurrents : Claire Lasne-Darcueil, directrice du Conservatoire national supérieur d’art dramatique, Camille Barnaud et Romaric Daurier, co-directeurs de la scène nationale le Phénix à Valenciennes, et José Manuel Gonçalvès, directeur du CentQuatre à Paris. Dès ce lundi soir, le public pourra juger du talent de metteur en scène de Tiago Rodrigues. En effet, à vingt-deux heures, il inaugurera le festival par la mise en scène de La Cerisaie de Tchekhov, avec Isabelle Huppert en actrice principale, sous les hauts murs de la Cour d’honneur du Palais des Papes. Difficile de faire mieux en guise d’intronisation ! Alex Descas, le comédien d’origine antillaise qui interprète Gaïev, le frère de Lioubov Andréïevna Ranevskaïa, la propriétaire foncière de la Cerisaie, l’héroïne de cette pièce chorale, attire notre attention sur le “fonctionnement horizontal” de Tiago Rodrigues : « Tiago ne se présente pas comme ayant le savoir, tout le monde participe. Il construit avec nous le spectacle de manière organique et chacun apporte ce qu’il peut. C’est très agréable. Quand il nous donne une indication, elle est très claire et la plupart du temps, elle s’appuie sur ce qu’on vient de proposer. »

Né à Lisbonne en 1977 d’une mère médecin et d’un père journaliste, tous deux intellectuels de la Révolution des Œillets, Tiago Rodrigues évolue entre les locaux de l’hôpital avec sa mère et la rédaction du journal de son père. Enfant, il développe très tôt un attrait pour l’écriture et s’amuse à imiter les journalistes qu’il observe auprès de son père. À l’âge de sept ans, il découvre le fado, ce chant populaire mélancolique portugais empreint de “saudade”, et sent naître sa passion pour le théâtre. Il postulera au Conservatoire de Lisbonne où il sera retenu trentième sur trente. Mais après un an d’études, ses professeurs lui conseilleront d’abandonner : « Plusieurs d’entre eux se sont rapprochés de moi en me disant : Tu dois suivre ta nature, peut-être, mais le théâtre n’est pas fait pour toi », confie-t-il lors d’une conférence au festival d’Avignon, en 2019. Hors de question pour ce jeune passionné de baisser les bras : « Cet été-là je me suis dit que j’allais faire le maximum, que j’allais essayer le plus possible de travailler autrement. »

Tiago Rodrigues est aujourd’hui un homme de théâtre accompli. À vingt ans, il fait la connaissance de Tg Stan. Surpris par l’absence de hiérarchie et par la liberté de création que prône le collectif de comédiens belge, originaire d’Anvers, il monte avec lui Point Blank, d’après Platonov, pièce inachevée de Tchekhov. En 2003, il poursuit son ascension et cofonde, avec l’artiste et diplômée de chimie Magda Bizarro, Mundo Perfeito. Une compagnie grâce à laquelle il collaborera avec un grand nombre d’artistes portugais et internationaux, ainsi qu’avec des chorégraphes et des danseurs. En parallèle de sa carrière au théâtre, le dramaturge exerce ses talents d’écriture à la télévision où il rédige des scénarios de films et séries, notamment pour la chaîne portugaise RTP2. Il persévère aussi dans le journalisme, écrit des articles et des essais au plus près de l’actualité sociale et culturelle. Il s’essaye également à l’enseignement, devient professeur de théâtre dans plusieurs établissements : l’école de danse belge Parts, dirigée par la chorégraphe Anne Teresa de Keersmaeker, l’école suisse des Arts performatifs La Manufacture, et le projet international L’École des Maîtres. S’il produit des textes originaux, il aime aussi à réécrire, adapter et tordre jusqu’au

sang les chefs-d’oeuvre du répertoire, Antoine et Cléopâtre de Shakespeare, Madame Bovary de Flaubert, Anna Karénine de Tolstoï…

Grâce à ses pièces récentes, très souvent récompensées, Tiago Rodigues, lauréat du Prix Pessoa en 2019, accroît sa notoriété internationale. En 2014, il présente au théâtre de la Bastille By Heart, un spectacle sensible, émouvant, poétique, où, seul acteur sur la scène, il sollicite des spectateurs, qu’il fait monter sur le plateau, pour leur faire apprendre par cœur le Sonnet 30 de Shakespeare. En 2015, il est nommé dans son pays directeur artistique du Teatro Nacional D. Maria II, l’équivalent de la Comédie-Française au Portugal. La même année, il triomphe pour sa première au festival d’Avignon avec les représentations d’Antoine et Cléopâtre, variation douce et murmurée de la pièce de Shakespeare. Le voici donc entré au “Gotha” des maîtres européens. Au printemps 2016, et ce pour deux mois et demi, il est chez lui au Théâtre de la Bastille, invité par Jean-Marie Hordé à “occuper” les lieux. Il convie alors 70 personnes à participer à la création de deux performances : Ce soir ne se répétera jamais et Je t’ai vu pour la première fois. Il est pareillement chez lui à Avignon, où en 2018 il séduit le public avec Sopro, un spectacle singulier consacré à la souffleuse du Théâtre Dona Maria II. Auteur éclectique, il signe encore le texte d’un spectacle pour enfants, Tristesse et joie dans la vie des girafes. Il sera chez lui, en 2022, dans les bureaux directoriaux qui surplombent le cloître Saint-Louis.

Distingué en 2018 par la République française, qui lui confère le titre de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres, Tiago Rodrigues va pouvoir au Festival d’Avignon continuer à défendre un théâtre vivant de qualité. Un festival qui exige qu’on lui consacre du temps, de l’attention, de l’énergie. Raison pour laquelle certains plaident pour qu’il soit pris en main par des intendants qui se dévouent corps et âme à leur mission. Paul Puaux, Alain Crombecque, Bernard Faivre d’Arcier et le duo Hortense Archambault-Vincent Baudriller : aucun de ces anciens patrons d’Avignon n’était metteur en scène, et aucun n’a démérité. Mais le Festival, fondé en 1947 par Jean Vilar, a renoué il y a six ans avec l’ère de l’artiste directeur. En 2013, lorsqu’Olivier Py s’y installe, il est épaulé par Agnès Troly, directrice de la programmation, et Paul Rondin, directeur délégué. Deux bras droits qui lui ont permis de poursuivre son œuvre sans encombre. Espérons qu’il restera à Tiago Rodrigues suffisamment de temps pour ses propres créations, qui sont de celles qu’on guette et attend avec impatience ! On se souvient que Jean Vilar s’était résigné à ne plus mettre en scène pour se consacrer sans réserve aucune à la manifestation…

Prendre la direction d’Avignon, c’est assumer soixante-quinze ans d’histoire tout en étant dans le présent et en restant ouvert sur l’avenir. Tiago Rodrigues a du temps pour s’y préparer. Il signera sa première programmation en juillet 2023 seulement, afin que s’effectue en douceur la passation avec Olivier Py, prolongé jusqu’à l’année prochaine. « C’est le plus beau festival de théâtre au monde, c’est une aventure à laquelle je vous promets que je vais consacrer toutes mes énergies, essayant de contribuer à cette grande fête de la liberté artistique et de la démocratisation culturelle », a déclaré le futur directeur lors d’un point presse au Palais des Papes. « Je voudrais remercier la France, pays d’accueil, société diverse et ouverte, qui accueille et a accueilli tellement de migrants et d’exilés, tellement de Portugais, notamment mon père, qui s’est échappé de la dictature au Portugal », a-t-il ajouté. Une bien belle conclusion, en forme d’hommage à un pays, pas toujours si accueillant que cela… même si le théâtre est un lieu qui sait s’ouvrir au reste du monde : pour rappel, un autre metteur en scène, d’origine portugaise par sa mère, Emmanuel Demarcy-Mota, dirige avec brio le Théâtre de la Ville, à Paris, qui nous a donné bien des joies par une riche programmation en ligne durant les confinements !

Fort-de-France, le 5 juillet 2021

Janine Bailly, d’après Télérama, FranceInfoCulture, et le journal portugais Publico.