« Un long silence », histoire d’une fratrie dépossédée

— Par Marie-Laure Delorme —
gilmore_un_lg_silenceIl y a quarante ans, Gary Gilmore devenait l’un des condamnés à mort les plus célèbres des États-Unis. Une occasion de redécouvrir les Mémoires de son frère, chef-d’œuvre de la non-fiction.

L’histoire a fait les gros titres, partout dans le monde, durant plusieurs mois. Un Américain de 35 ans, Gary Gilmore, a assassiné dans l’Utah deux jeunes mormons durant deux nuits consécutives de juillet 1976. La Cour suprême des États-Unis venait alors d’ouvrir la voie au rétablissement de la peine capitale et l’Utah de la restaurer. Gary Gilmore est la première personne, depuis dix ans, à subir la peine de mort. Il a volontairement mis fin à ses recours judiciaires. Le débat a enflammé le pays : un condamné exigeait d’être exécuté sans attendre.

Le romancier ­Norman Mailer racontera l’histoire, dans Le Chant du bourreau en 1979, de sa libération en 1976 à son exécution en 1977. Le benjamin de la fratrie, Mikal Gilmore, a écrit Un long silence (Sonatine, 2011) de février à octobre 1993. Il cherche à répondre à une question : pourquoi et comment son frère est-il devenu un meurtrier? Il revient aux origines de la violence familiale, en pointant toutes les bifurcations possibles. Quand aurait-il été possible de changer le cours de la tragédie? Et ce qu’il trouve est bien autre chose qu’un apaisement : un terreau de haine. Le journaliste Mikal Gilmore, rédacteur en chef du magazine Rolling Stone, n’est ni un styliste ni un analyste. C’est sa vie. Il ne brode pas autour des drames et ne mesure pas la distance émotionnelle. La force hypnotique d’Un long silence naît et renaît de la confrontation d’un homme avec l’obscurité de son histoire.
Un longue lignée de colères

La photo de la couverture les représente, avant la naissance du petit dernier, de manière saisissante. Bessie Brown (la mère, née en 1913) et Frank ­Gilmore (le père, né en 1890) et les trois plus grands : Frank Jr (qui deviendra SDF), Gary (qui sera un meurtrier), Gaylen (qui finira assassiné). Le benjamin de la fratrie, Mikal ­Gilmore, remonte une longue lignée de colères, de fantômes, de coups.

Quand Bessie Brown et Frank ­Gilmore se rencontrent, ils sont déjà abîmés par la vie. Elle est l’enfant rebelle d’une famille de mormons dans l’Utah ; il a déjà laissé derrière lui une demi-douzaine de femmes et d’enfants. Frank ­Gilmore multiplie les escroqueries. Les trois fils grandissent dans un climat de violence inouïe. Le père tabasse sa femme et frappe ses enfants.

Chacun des frères réagit différemment aux déchaînements de violence du père. Frank Jr se ferme émotionnellement alors que Gary se nourrit d’un puissant sentiment d’injustice. Il dira de son père : « Si j’avais pu le tuer sans me faire prendre, je l’aurais fait. » Gary et Gaylen vont s’enfoncer dans l’alcoolisme, la délinquance, la drogue. Ils se vengent sur la terre entière d’avoir été dépossédés par leurs parents de l’amour, de la confiance en soi, de l’espérance.
Sauvé par l’amour de la lecture et de la musique

Peut-on échapper à son destin? Mikal Gilmore dit : « En fait, l’un des meilleurs services que m’a rendu ma famille, c’est de m’apprendre que je ne voulais pas être lié à ses valeurs ni à ses dettes ni à ses traditions. » Il est celui qui a le moins souffert du père et qui est parti le plus loin de la mère. Le seul à s’en sortir…

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Un long silence, Mikal Gilmore, Sonatine, 567 p., 22 euros.