Plusieurs centaines de professionnels des médias demandent à Emmanuel Macron la reprise de l’accueil des journalistes gazaouis souhaitant être évacués de l’enclave, et l’accès immédiat de la presse internationale sur le terrain.
Nous sommes près de 400 journalistes et professionnels des médias français et francophones apportant notre soutien, depuis le mois de juillet, à la constitution de dossiers d’évacuation et à l’accueil de nos confrères et consœurs palestiniens de Gaza, qui entretiennent pour la plupart des liens avérés avec la France. Parmi eux, certains collaborent avec de grandes rédactions comme Le Monde, BFM-TV, l’Agence France-Presse ou encore LCI. Ces journalistes, au péril de leur vie, permettent aux Français d’accéder à l’information malgré le black-out médiatique imposé par Israël, qui a transformé Gaza en une véritable « zone létale » pour la profession.
De notre côté, nous nous plions aux conditions drastiques de constitution des dossiers de nos confrères et consœurs. Nous récupérons leurs documents d’identité, nous rassemblons les attestations de travail auprès des organes de presse français ou étrangers avec lesquels ils ont collaboré, nous réunissons des promesses d’embauche, des attestations d’hébergement et de soutien financier, nous leur trouvons des logements pour les accueillir dignement.
Nous les connaissons : ce sont des journalistes méritants, intègres, qui font honneur à la profession, loin de l’image que leur attribuent les campagnes de propagande visant à les assimiler à des militants du Hamas. En août, un média israélien a ainsi révélé l’existence d’une « cellule de légitimation » de l’armée, chargée de fabriquer de faux dossiers liant les journalistes au Hamas pour tenter d’en justifier l’exécution.
Selon les derniers décomptes d’ONG reconnues, 220 d’entre eux ont déjà été tués lors de frappes israéliennes, faisant de Gaza, pour la presse, le conflit le plus meurtrier de l’histoire. Or, depuis la suspension des évacuations, onze journalistes ont été tués ; l’ONU a déclaré l’état de famine à Gaza ; l’International Association of Genocide Scholars a adopté une résolution inédite qui reconnaît que les actions d’Israël à Gaza répondent à la définition du crime de génocide ; Israël a lancé l’invasion de la ville de Gaza, et l’administration Trump a proposé un plan assimilable à un projet de nettoyage ethnique.
Ahmed Shamia et Omar Harb
Le sort de ces journalistes tués pourrait être celui de ceux que nous aidons, de ceux figurant déjà sur la liste du ministère des affaires étrangères. « En tant que journaliste travaillant sur le terrain, j’ai commencé à avoir peur de sortir, de me déplacer. J’ai peur d’être tué et de n’être qu’une simple brève oubliée après quelques heures », nous écrit un journaliste dont le processus d’évacuation a été suspendu.
Pourtant, depuis plus d’un mois, toutes les évacuations de Palestiniens de Gaza, sans exception, sont suspendues par les autorités françaises. Cette suspension fait suite à la découverte d’une ancienne publication antisémite, sur les réseaux sociaux, d’une étudiante gazaouie évacuée vers la France, ce qui a entraîné l’ouverture d’une enquête interne.
Quelles ont été les conclusions de cette enquête ? Comment une seule publication a-t-elle pu conduire à la suspension de toutes les évacuations, y compris celles des malades, des blessés, et des familles relevant du regroupement familial ? Et ce, alors que chaque évacuation est soumise à des procédures de sécurité et d’investigation menées en premier lieu par le coordinateur général des activités dans les territoires, le Cogat [acronyme de l’anglais Coordinator of Government Activities in the Territories]), l’unité militaire israélienne rattachée au ministère de la défense [qui régente la vie quotidienne en Cisjordanie et à Gaza]. Pour nous, cette décision s’apparente à une punition collective.
Cette suspension touche aussi des universitaires et des étudiants, dont la rentrée de septembre est désormais compromise, des artistes, et des familles qui devaient être réunies au titre du regroupement familial. Elle rappelle le sort tragique d’Ahmed Shamia, architecte et professeur d’ingénierie, mort en mai faute de soins, alors qu’il devait être accueilli en France, grâce au Programme national d’accueil en urgence des scientifiques et artistes en exil, le Pause – aujourd’hui suspendu ; ou celui d’Omar Harb, universitaire renommé, mort de maladie et de malnutrition, le 5 septembre.
Un accueil digne de leurs sacrifices
De nombreuses rédactions, des syndicats et sociétés de journalistes, ainsi que Reporters sans frontières, se sont mobilisés afin que le ministère des affaires étrangères lève la suspension de ces évacuations. Après vingt-deux mois à subir des conditions de travail inhumaines, aggravées par la famine, ces journalistes n’ont désormais plus même la force de survivre.
Nous, journalistes français et francophones, réaffirmons notre solidarité avec nos consœurs palestiniennes et confrères palestiniens, qui, jour après jour, documentent la destruction de la société gazaouie. C’est pourquoi nous voulons leur offrir un accueil digne de leurs nombreux sacrifices.
Et la France gagnerait à appliquer les principes humanitaires et de protection de la presse qu’elle met en avant partout ailleurs. « Pourquoi n’avons-nous pas de protection internationale, comme les autres journalistes dans le monde ? Ou bien notre sang est-il sans valeur ? », interroge un journaliste figurant sur la liste d’évacuation.
Il est aujourd’hui essentiel que la France mobilise ses moyens pour contribuer à prévenir le génocide et les crimes contre l’humanité en cours, afin que les Palestiniens puissent vivre dignement sur leur terre. Son rôle diplomatique devrait être déterminant pour garantir l’accès de journalistes internationaux à Gaza et soutenir la reprise des évacuations de leurs confrères gazaouis, dont les dossiers sont déjà constitués ou en cours.
Enfin, une simplification des procédures et la création d’un programme spécifique pour les journalistes sont indispensables pour faciliter le départ de celles et de ceux qui ne peuvent plus rester sur place.
Retrouvez ici la liste des signataires.
Source : Le Monde