Tropiques- Atrium : programmation entre rupture (beaucoup) et continuité (un peu)

— Par Roland Sabra —

hassane_kouyateLa lecture du programme de Tropiques-Atrium le laissait deviner et la présentation publique de la brochure l’a confirmé : la prise en main de la renouvelée salle nationale de Martinique par Hassane Kassi Kouyaté marque un tournant important dans l’histoire de la structure. C’est en effet la première fois que la maison commune est dirigée par un metteur en scène reconnu internationalement. Les trois axes d’orientation, à savoir, Les expressions féminines de la Caraïbe, Les écritures contemporaines et les Classiques revisités portent la marque de ce changement tout en prenant largement en considération les particularismes insulaires. La saison s’ouvre avec « Choc(s), une reprise de Christiane Emmanuel déjà vue en 2010 et une création monstre d’Aurélie Dalmat «  Antigone ». Le terme de « monstre » renvoie à la démesure, à l’insatiable énergie, à la fougue d’Aurélie Dalmat qui convoque sur scène pour cette Antigone, revisitée par Georges Mauvois au moins six douzaines de comédiens, chanteurs et choristes avec pour la première fois une ouverture de la scène coté salle Aimé Césaire et coté salle Frantz Fanon. H.K. Kouyaté dont on sait que les codes théâtraux sont emprunts de minimalisme, de dépouillement et de recentrement sur le rôle de l’acteur à l’instar de ses maîtres, Peter Brook ou Claude Régy laisse une large place avec sept représentations,à cette hybris dalmatienne avant d’accueillir début décembre « Traversée de Xavier Orville » une pièce en solo de Lucette Salibur dont la présence sur scène ces dernières années s’était raréfiée à notre regret. Entre temps, Myriam Soulanges, Gerty Dambury, Dalila Daniel, Annabel Guérédrat, Difé Kako, auront pu s’exprimer. Et si le Ballet Tchè Kréyol juste avant les fêtes de fin d’année présentera son Père Noël de Ti Kréol il aura été précédé par « Suzanne Césaire, Fontaine Solaire », une adaptation de Daniel Maximin des « Écrits de Dissidence » que H.K.K projetait de mettre en scène au TARMAC,  dés avant son arrivée en Martinique et dont Tropiques-Atrium aura la primauté.

Ce premier axe de travail « Les expressions féminines de la Caraïbe » est à l’image de la ligne éditoriale retenue par H.K.K. marquée du sceau de l’ouverture, de la rigueur, de la prise en compte des talents locaux et de la diversité des arts de la scène. La déclinaison des deux autres thèmes portent davantage la marque du nouveau directeur qui en faisant des propositions de qualités, peut-être plus exigeantes que ce à quoi l’ex-Atrium nous avait habitué répond à l’un des objectifs d’une Scène nationale qui est de favoriser l’émergence de nouveaux talents, de nouvelles formes de créativité.

Si l’expression théâtrale est d’évidence la gagnante à ce rééquilibrage nécessaire entre les arts de la scène, la danse avec la biennale, la musique avec le Martinique Jazz Festival et le cinéma avec les Rencontres Cinéma Martinique et les Séances en V.O. sont aussi bien lotis.

Un seul regret concerne les spectacles à destination du public scolaire. Si des représentations sont toujours prévues pour les élèves, collégiens, lycéens et étudiants, trop peu de spectacles semblent avoir été pensés d’abord pour eux. S’il est vrai qu’  « Antigone », pour ne prendre que cet exemple est au programme et fait partie de ce que l’on peut appeler le bien commun de l’humanité il en est d’autres aussi. Par exemple le remarquable travail de la compagnie Burkinabé Marbayassa qui universalise Molière, Voltaire et bien d’autres méritait d’être présenté au jeune public antillais. Un partenariat avec les Rectorats de Martinique, de Guadeloupe et l’ autre scène nationale antillaise, l’Artchipel aurait été le bienvenu.

Reste que l’ensemble des programmations connues à ce jour, Tropiques-Atrium et T.A.C. (Théâtre Aimé Césaire) pour l’année 2015-2016 laissent présager un calendrier bien rempli, de qualité et pour une fois harmonisés sans qu’il y ait eu besoin d’une concertation. Si certaines dates se chevauchent les deux lignes théâtrales loin de se concurrencer semblent plutôt complémentaires assez bien partagées entre classicisme et modernité, entre valeurs sûres et innovations, entre rentes assurées et prises de risques. De quoi contenter bien du monde. Et si le Comité Martiniquais du Tourisme acceptait enfin dans les faits et non pas simplement de façon rhétorique de considérer que l’attractivité de la Martinique passe aussi par là…

Fort-de-France, le 29/09/2015

Roland.Sabra