« Trop beau pour y voir » une pièce de théâtre de la guadeloupéenne Béatrice Bienville

Une plongée poignante dans la trouble histoire de la banane et du chlordécone

— Par Sarha Fauré —

Béatrice Bienville est une figure marquante du théâtre contemporain, originaire de la Guadeloupe. Elle s’est distinguée par son talent en tant qu’autrice et metteuse en scène. Son parcours artistique est le fruit d’une formation riche et variée. Lauréate du concours d’écriture théâtrale des jeunes de la Caraïbe en 2012, elle a ensuite poursuivi ses études en France. Après une classe préparatoire littéraire et une licence de philosophie, elle intègre avec succès le département Ecrivain.e.s Dramaturges de l’ENSATT, où elle obtient son diplôme en 2018.

Une passion théâtre

Son engagement et sa passion pour le théâtre l’ont conduit à rejoindre l’Académie de la Comédie Française en tant qu’élève metteuse en scène/dramaturge pour la saison 2018/2019. Au sein de cette prestigieuse institution, elle a contribué de manière significative au Bureau des lecteurs et a été assistante sur plusieurs projets. De plus, elle a brillamment mis en scène la pièce « Maladie de la Jeunesse » de Bruckner.

Souvent récompensée

En tant qu’autrice, Béatrice Bienville a signé plusieurs œuvres remarquées. Elle a écrit des solos pour des comédiennes ainsi que pour des marionnettistes de l’ESNAM. Parmi ses pièces les plus marquantes, on peut citer « Odyssée Méditerranée », « K.O. », « Thomas et Judith », et « La véritable histoire de la Gorgone Méduse ». Son travail a été récompensé à plusieurs reprises, notamment par le prix Scenic Youth de la Comédie de Béthune et le DESC#1 du théâtre du Quai à Angers.

Pour une voix forte et engagée

Engagée dans une démarche artistique et citoyenne, Béatrice Bienville aborde dans ses œuvres des sujets sensibles et d’actualité. Sa prochaine création, « Trop beau pour y voir », explore le drame du chlordécone, un pesticide utilisé massivement dans les plantations de bananes des Antilles jusqu’en 1994. Cette pièce, au travers de différents tableaux juxtaposés, mêle mythes, récits inventés et faits historiques pour explorer les conséquences tragiques de l’utilisation des pesticides et interroger les décisions collectives qui ont marqué le paysage agricole. Béatrice Bienville s’impose ainsi comme une voix forte et engagée du théâtre contemporain, révélant les enjeux sociétaux et humains à travers ses créations artistiques.

Dans l’exploration des choix collectifs :

La trame narrative s’entrelace autour de la famille de Lyne, une ouvrière agricole guadeloupéenne, réunie pour la veillée funéraire de Josuah, son fils emporté par un cancer de la prostate. À travers des tableaux mythiques, inventés ou historiques, la pièce scrute les choix collectifs façonnant le paysage agricole et les ravages silencieux du chlordécone.

Par une réécriture du mythe :

Dans une scène d’introduction inspirée des récits bibliques, Béatrice Bienville transpose le mythe du fruit défendu, remplaçant la pomme par une banane. « Si tu manges de ce fruit, tu sauras tout du Bien et du Mal », chuchote le serpent, ouvrant ainsi la voie à une exploration profonde des conséquences de nos actes.

Un voyage à travers l’histoire :

Des bureaux ministériels de Jacques Chirac aux campagnes publicitaires des années 1970, la pièce retrace avec brio l’odyssée de la banane aux Antilles. Depuis son importation en 1516 jusqu’à l’autorisation du chlordécone en 1975, chaque scène dépeint les contours d’une tragédie collective, où la politique et l’économie se mêlent à la douleur personnelle.

Qui fait entendre la voix des oubliés :

Au cœur de ce récit, une famille brisée par le chlordécone témoigne des ravages de ce pesticide sur les vies humaines et l’environnement. Avec une plume à la fois touchante et hilarante, Béatrice Bienville donne vie à des personnages poignants, porteurs d’une mémoire collective trop souvent oubliée.

Pour une invitation à la réflexion :

À travers les voix des  personnages, la pièce interroge notre rapport à l’histoire, à la politique et à l’environnement. En révélant les liens entre passé et présent, « Trop beau pour y voir » nous invite à reconsidérer nos choix individuels et collectifs, et à reconnaître la responsabilité de chacun dans la construction de notre avenir commun.

Avec un espoir de concrétisation :

« Trop beau pour y voir » est un cri du cœur, un appel à la conscience collective, un rappel poignant de l’impact de nos actions sur le monde qui nous entoure. En nous confrontant à notre histoire commune, la pièce nous rappelle que nous sommes tous les acteurs d’un même drame, et que seul un véritable engagement pour le changement peut nous conduire vers un avenir meilleur.

Après les deux premières lectures publiques les 28 et 29 mars 2024, au Théâtre Ouvert à Paris, une troisième est programmée à Tours pour le mois de juin. Après cette représentation et quelques ajustements finaux du texte, Béatrice Bienville nourrit l’espoir de concrétiser la production de la pièce pour qu’elle puisse enfin prendre forme sur scène… et, peut-être, venir en Martinique!