Tjenbé larel, un festival foyalais qui chante son identité : deuxième acte

—par Janine Bailly—

Guy Louiset et son Sextet

Guy Louiset et son Sextet

Le festival, c’est aussi le cirque. Ce divertissement populaire, dans le sens noble du terme, deviendrait-il un incontournable du festival ? En 2013, nous avions succombé à la magie en ombres chinoises du spectacle Shadowland, proposé par la compagnie américaine Pilobolus. Cette année, petits et grands vibrèrent d’une même émotion aux acrobaties époustouflantes, déroulées sur fond musical en live, de « CirkAfrika », une originale prestation du cirque Phénix imaginée pour Fort-de-France. La troupe composée de soixante acrobates, danseurs, jongleurs et chanteurs venus de « toutes les Afriques », connut un vif succès, remplissant quatre soirs d’affilée la grande salle de l’Atrium jusqu’au dernier balcon, et menant son spectacle « tambour(s) battant(s) ». Le défilé sur scène des acteurs costumés, qui en sautillante grenouille, qui en girafe, qui en lion pataud, crocodile ou tortue, fit briller un peu plus fort les yeux des enfants.

Cie Be Gainer's au Parc Floral

Cie Be Gainer’s au Parc Floral

Le festival, c’est encore la danse, qu’elle respecte, exalte et renouvelle la tradition, ou qu’elle nous transporte dans l’actualité vivante du siècle présent : à la soirée Bèlè « Sonjé Yo » succéda la nuit du Moov Urbain, où l’on put découvrir, en deux heures de « show battle », des groupes de Martinique et de France composés de danseurs extrêmement talentueux, et dont les prestations originales reposaient sur des chorégraphies parfaitement orchestrées. Il est dommage que le public soit resté si clairsemé, l’énergie et la perfection esthétique de cet art dévolu à la jeunesse auraient mérité mieux. L’élégance des dix jeunes demoiselles de Paradox-Sal, la fougue et la grâce de la seule fille évoluant au sein de la Compagnie Be Gainer’s, auraient conquis les spectateurs les plus réticents !

Pourtant, en avant-première, ce samedi matin-là, les badauds avaient eu l’heureuse surprise de trouver la Place de l’Enregistrement investie par différentes troupes de danse. Cette manifestation nommée « Street Vibes », organisée conjointement par le Sermac et le groupe CRS, se donnait comme double but de « réunir divers groupes pour un échange convivial, et pour préfigurer l’ambiance qu’il y aurait le soir-même dans le cadre de ce Moov Urbain, l’état d’esprit étant danse et partage. Cette prestation faisait écho à la Street Connection organisée voici quelques mois par le CRS avec la ville du Lamentin ». (Déclarations recueillies à l’issue du show auprès d’Adèle Kirza, responsable de la Team CRS, groupe de danse « 100% Matinik », spécialisé dans le Hip Hop et le Dance Hall). Le mot « partage » n’est pas resté lettre morte puisque danseurs de Bèlè et danseurs du Moov devaient se retrouver en salle le dimanche matin afin de confronter, mêler et ainsi enrichir leurs pratiques respectives.

Street Vibes, Pl. de l'Enregistrement

Street Vibes, Pl. de l’Enregistrement

Mais il faut bien avouer que les temps forts de cette édition furent sans conteste musicaux. On se doit de saluer la diversité et la richesse de la programmation, l’éclectisme des concerts susceptible de satisfaire le plus grand nombre, et la multiplicité des lieux choisis. Du podium installé sur la pelouse de la Savane, je retiendrai la prestation énergique et dansante du groupe traditionnel guyanais « Les Mécènes ». Du théâtre Aimé Césaire, le Steel Pan de Guy Louiset et son sextet dans des reprises de morceaux connus puis dans des compositions du « maître », commentées par lui-même avec humour. Du kiosque Henry Guédon, le piano de Yolanda Suarez qui, rivalisant avec le souffle des vagues, enchanta la nuit du Malecon, ou les chaudes voix gospel de la chorale Émeraude. Du Grand Carbet, le concert alerte et allègre de l’orchestre symphonique Mahogany, qui eut l’honneur d’ouvrir les festivités sous la direction toujours enthousiaste de Manuel Césaire. De la cathédrale Saint-Louis, l’heure magique que fut le récital de piano classique donné par Xavier Populo, enfant de Fort-de-France qui fit avec élégance, tendresse ou passion,  s’élever sous la voûte les notes de Lieder de Schubert transcrits par Frantz Liszt, avant d’interpréter trois des œuvres sensibles de ce dernier compositeur.

Une mention spéciale aux nuits des Jardins du Parc Culturel Aimé Césaire, qui allièrent, au bonheur du bain musical sous les étoiles, le plaisir des papilles gustatives comblées par le Village culinaire : la cinquième édition de la Jazz Night, avec en vedette le trompettiste Arturo Sandoval, ou le concert de clôture qui vit tanguer-chavirer la pelouse sur les rythmes cubains d’un Raúl Paz débordant de talent, de charme et de charisme. Dommage cependant que les décibels poussés à outrance du Tribute to Jeff Joseph, qui clôturait ce festival, aient mis en fuite les oreilles de sensibilité ordinaire !

Si les musiciens de l’île ont bien répondu présent, on pourrait regretter l’absence, à quelques exceptions près, des comédiens natifs, qui se plaignent souvent de ne pas avoir de visibilité dans leur propre pays, et qui devraient certes trouver leur place dans ce type de manifestation.

Le festival 2015 est mort, vive le festival 2015, et que vienne le festival 2016 !

Janine Bailly, Fort-de-France, lundi 28 juillet 2015

Photos Paul Chéneau et Janine Bailly